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17 juin 2010 4 17 /06 /juin /2010 18:21

Avec un soupir de contentement, l'adepte Mazen porta le verre à ses lèvres. Il mit tous ses sens en éveil tandis que le liquide ambré coulait lentement au fond de sa gorge. Un parfum douçâtre, une sensation de brûlure fugace, et ce fut tout : en fin de compte, cet alcool avait un goût plutôt désagréable. Mais il coûtait une véritable fortune, ce qui suffisait largement à Mazen.

L'adepte reporta son attention sur la baie vitrée. De forme ogivale, encadrée de rideaux de soie, elle se dressait sur une hauteur invraisemblable, comme pour écraser les visiteurs de son gigantisme. Au-delà du verre blindé, des formes indistinctes se dessinaient dans la nuit et le brouillard ; de temps à autre, un éclair venait déchirer l'obscurité, découpant la silhouette des tours gothiques en ombres chinoises.

Oui, seconder un Inquisiteur présentait nombre de risques. Certains y laissaient leur vie ; d'autres échouaient, jugés incapables d'accéder à la magistrature suprême. Mais pour prix de ce travail ingrat, au bout d'un chemin difficile et semé d'embûches, il y avait le pouvoir. Le pouvoir ! Bientôt, Mazen serait un Inquisiteur à part entière ; bientôt, il pourrait disposer à loisir de la vie de quiconque et décider sur un caprice de vitrifier la surface d'un monde.

Le jeune homme s'autorisa un rire satisfait et balaya la pièce du regard. A vrai dire, il n'avait même pas besoin d'attendre : en l'absence de son maître, il héritait de toutes ses prérogatives et bénéficiait de tous ses privilèges, au premier rang desquels figurait cette suite luxueuse, nichée dans les flancs de la forteresse inquisitoriale.


- Monseigneur, veuillez pardonner mon intrusion. Vous avez un visiteur.

Mazen se retourna vers la lourde porte et fusilla le serviteur du regard.

- A cette heure-ci ? Renvoie-le d'où il vient. Et ne t'avise plus de me déranger, misérable larve, ou je te ferai exécuter.

- Bien, monseigneur.

Penaud, le majordome mécanisé sortit à reculons et referma la porte derrière lui. Mazen resta un instant stupéfait par l'audace du serviteur : l'interrompre en plein travail malgré des ordres explicites ! Si le petit personnel commençait à prendre ses aises, comment Mazen pourrait-il se consacrer efficacement à sa tâche ? Le jeune homme décida qu'il ferait remplacer le majordome dès le lendemain.

Mazen reposa le verre vide avant de se diriger vers la bibliothèque d'un pas nonchalant. Des centaines d'ouvrages s'étalaient sur les rayonnages de bois précieux : la collection personnelle de l'Inquisiteur Jovena était un véritable trésor en soi. Certains grimoires constituaient le dernier témoignage d'une culture ou d'un courant de pensée condamné aux flammes ; d'autres traitaient des sciences occultes et des mystères insondables de l'Empyrean ; mais tous présentaient une facette de l'hérésie, ce monstre protéiforme que la Très Sainte Inquisition se devait de combattre pour l'Eternité.

L'adepte tendit la main pour caresser la reliure patinée d'un traité de linguistique eldar. Un ouvrage rarissime, qui ne subsistait qu'à quelques exemplaires dans tout l'Imperium depuis qu'un édit inquisitorial l'avait désigné pour l'autodafé.

Mazen sursauta lorsque la porte s'ouvrit à nouveau. Excédé, il laissa libre cours à sa colère.


- Sombre crétin, je croyais avoir été cl...

Le jeune homme s'interrompit, stupéfait. Devant lui se dressait la silhouette immense d'un Astartes en armure.

- Caius Pertinax ? Que faites-vous là ?

Le Dark Angel referma doucement la porte.

- J'ai quelques questions à vous poser, Mazen.

L'adepte écarquilla les yeux.

- Des questions ? Et qui croyez-vous être pour me poser des questions ?

En guise de réponse, Pertinax plongea la main sous sa cape et exhiba un objet métallique fuselé.

- Je suppose que vous reconnaissez ceci ?

Mazen fonça les sourcils.

- Une matraque énergétique ? Comment osez-vous pénétrer ici avec une telle arme ? Je vais immédiatement alerter la...

- Sachez qu'il est très imprudent d'attenter à la vie d'un officier de l'Adeptus Astartes. Mon Chapitre n'appréciera guère vos manigances et les prendra comme une provocation.

- Quelles manigances ? Je ne vois pas de quoi vous parlez.

D'un pas lourd et déterminé, Pertinax avança vers Mazen, tout en activant la matraque qui se mit à bourdonner de façon inquiétante.

- Cette arme est rare, Mazen, très rare. En dépit de ses qualités, elle n'est utilisée que par l'Adeptus Arbites, car ses facultés non létales ne présentent que peu d'intérêt pour les militaires. Bien sûr, lorsque des Arbites sont tués en mission, il peut arriver qu'une matraque tombe entre les mains de la pègre, auquel cas elle prend rapidement une grande valeur marchande.

Mazen restait de glace. Les bras croisés, il dévisageait le Dark Angel sans se démonter. Pertinax vint se planter devant l'adepte et lui présenta la matraque.

- Mais cette arme-ci ne présente aucun marquage, poursuivit l'officier. Ni numéro de série, ni unité d'appartenance. Elle n'est jamais passée entre les mains de l'Adeptus Arbites. De toute évidence, elle a été prélevée directement dans les arsenaux généraux de Terra.

- Mais enfin, que signifie tout ceci ? De quoi parlez-vous donc, par l'Empereur ?

- Ne blasphémez pas.

Pertinax apposa doucement l'extrémité de l'arme contre la jambe de Mazen. La décharge d'électricité émit un claquement sec, et le jeune homme s'effondra dans un cri.

- Vous êtes complètement fou, Pertinax ! Vous venez de signer votre arrêt de mort !

Haletant, Mazen tentait de se relever. Mais sa jambe gauche restait engourdie ; de petits éclairs résiduels continuaient à danser le long de sa cuisse. Imperturbable, Pertinax poursuivit son raisonnement.

- Qui pouvait avoir accès aux stocks d'armes de l'Arbites ? Qui pouvait connaître avec précision l'organisation du Concile ? Qui pouvait vouloir capturer un Astartes et doter une fausse bande de voyous d'un armement particulièrement adapté à cette tâche ? Un membre de l'Ordo Hereticus. Tout vous désigne, Mazen.

- Vous croyez que j'aurais pu organiser un attentat contre vous ? Pourquoi aurais-je fait cela ?

- C'est justement ce que je souhaite savoir.

Mazen esquissa un sourire sans joie.

- Pertinax, je vous répète que je ne suis au courant de rien.

Sans un mot, le Grand Maître appliqua la matraque sur la nuque de son interlocuteur, qui fut instantanément foudroyé. Mazen chuta de tout son long, les membres agités de soubresauts.

Pertinax le saisit d'une seule main et le traîna vers la baie vitrée. Le jeune homme était tout à fait paralysé désormais ; ses membres pendaient lamentablement pour lui donner l'apparence d'une poupée de chiffon. Seuls les muscles de son visage répondaient encore à sa volonté. En l'occurrence, ils exprimaient la plus vive angoisse.


- Bon sang, Pertinax, qu'avez-vous l'intention de faire ?

Le Dark Angel ne répondit pas. D'un geste du poignet, il fit pivoter le verrou et libéra les battants de la fenêtre, qui s'ouvrit à la volée. Un vent furieux se précipita dans la pièce, soulevant la cape mutilée de l'Astartes et s'engouffrant dans les interminables rideaux de soie. L'étoffe sembla prendre vie, voletant furieusement dans la suite comme une paire de serpents rougeoyants.

Tenant son fardeau à bout de bras, Pertinax s'aventura sur le balcon. Tombant à point nommé pour saluer son apparition derrière la rambarde d'airain, la foudre illumina le ciel, soulignant l'aspect sinistre de son heaume par un terrifiant jeu de clairs-obscurs.

L'officier souleva Mazen et le jeta sans ménagement sur la rambarde. Le haut du corps pendait mollement à l'extérieur, les bras ballants, seulement retenu par le poids des jambes. En-dessous du balcon, les murs de la forteresse s'enfonçaient dans les ténèbres nuageuses. La surface grouillante de Terra n'était pas discernable, mais elle était bien là, tapie à une profondeur insondable.


- Je vous écoute, Mazen.

- Vous vous apprêtez à commettre un meurtre ! Tuez-moi, et vous connaîtrez les pires tortures avant de périr dans les affres de l'agonie !

- Il ne s'agira pas d'un meurtre, mais d'un suicide. La matraque énergétique neutralise les terminaisons nerveuses en saturant les synapses, mais elle ne laisse aucune séquelle : vous aurez malencontreusement glissé sur le balcon.

- Pertinax, pour la dernière fois : je ne peux pas vous dire ce que je ne sais pas !

Le Grand Maître fit basculer Mazen dans le vide, le rattrapant in extremis par la cheville. Le jeune homme poussa un cri d'horreur. Il se balançait au-dessus du néant.

- Ma patience a des limites, Mazen.

- Attendez, attendez !... Je crois deviner ce qui vous est arrivé. Je suis peut-être en mesure de vous éclairer sur certains points.

- Parlez.

- Et qui me dit que vous me laisserez la vie sauve ? Je ne suis pas stupide : dès que vous aurez entendu ce que j'ai à dire, vous me tuerez.

- C'est une éventualité probable, en effet. Mais si vous observez le silence, je vous tuerai de façon certaine.

- Sauf que si vous me tuez maintenant, vous ne saurez rien.

- Certes, mais ce ne serait pas pas dramatique. Ces informations ne revêtent aucun caractère vital à mes yeux ; je désire simplement satisfaire ma curiosité. En revanche, vous tuer me procurerait un certain plaisir.

Mazen hésita un court instant.

- Vous disposez d'arguments convaincants, Pertinax.

Le jeune adepte reprit son souffle avant de continuer. Gagné par le vertige, il parlait les yeux fermés.

- Je suppose que l'Inquisition cherche à recueillir autant d'informations que possible avant votre procès.

- Mon procès ? Ne suis-je pas ici en qualité d'invité ?

- Officiellement, si. C'est bien pour cela que vous ne pouviez pas être interrogé comme un simple manant. Il fallait sauver les apparences et recourir à des moyens détournés. En général, l'Ordo utilise un ou plusieurs psykers pour sonder l'esprit de l'accusé ; lorsque cela ne suffit pas, il est possible d'organiser un enlèvement pour soumettre l'accusé à la Question.

- C'est absurde. Que les informations ainsi recueillies soient utilisées au cours du procès, et l'accusé saura immédiatement que son enlèvement était le fait des Ordos !

- Bien sûr, mais il ne pourra pas le prouver. Tant qu'un fait n'est pas prouvé, il n'est pas recevable devant l'Inquisition.

Pertinax rumina cet argument. Telle était l'hypocrisie dans laquelle se vautraient les laquais de l'Inquisition : les actes les plus inqualifiables pouvaient être commis au vu et au su de tous, sans que quiconque ne trouvât à y redire ; tant que les apparences étaient sauves, chacun acceptait implicitement de souscrire à ce jeu de dupes.

- Ainsi, l'Inquisition souhaite rendre les Dark Angels responsables de la disparition de Teufelgarten ?

- Bien sûr ! Votre Chapitre traîne une réputation sulfureuse, il serait dommage de laisser passer une telle occasion de le mettre en porte-à-faux.

Le Grand Maître ne répondit pas. Un silence pesant s'établit entre les deux hommes, seulement interrompu par de vives bourrasques ; suspendu entre ciel et terre, Mazen attendait son destin avec résignation.

Pertinax ramena le jeune homme sur le balcon et le traîna à l'intérieur. Puis il désactiva la matraque et la jeta à travers la fenêtre ; l'arme disparut dans le néant.


- N'espérez pas un témoignage de gratitude larmoyante de ma part, Pertinax. Vos actes seront rapportés en haut lieu. Vous paierez le prix fort pour ce que vous venez de faire.

Saisissant Mazen par la gorge, Pertinax le souleva comme un jouet.

- Tant qu'un fait n'est pas prouvé, il n'est pas recevable devant l'Inquisition. Ce sera votre parole contre la mienne.

- La parole d'un simple guerrier contre celle d'un Inquisiteur ? L'issue ne fait aucun doute.

Pertinax ramena le visage de l'adepte contre le sien. Les lentilles de son heaume brillaient d'une lueur rouge sang dans la pénombre.

- Vous n'êtes pas un Inquisiteur, Mazen. Pour l'heure, vous n'êtes rien ; aux yeux de vos maîtres, vous n'avez pas plus de valeur que le majordome qui garde votre porte.

Le Dark Angel détendit le bras, projetant le jeune homme dans les airs. Le corps inerte retomba sur le lit à baldaquins, où il rebondit plusieurs fois avant de s'immobiliser dans une pose grotesque.

Pertinax se dirigea vers la porte. Il aurait déjà fort à faire pour justifier la disparition de Teufelgarten ; éliminer ce jeune prétentieux ne ferait qu'offrir un argument de plus à ses détracteurs. Pour l'heure, il devait regagner ses appartements. La nuit serait courte, et la seconde journée du Concile, décisive.



A suivre...

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