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20 juillet 2009 1 20 /07 /juillet /2009 10:45

La coursive était remplie de senteurs d’encens. Les faibles éclairages lui donnaient un aspect très glauque, et la taille basse des plafonds n’arrangeait rien à la chose. Dans cette pénombre, seul perçait le fanal que lançait le lumiglobe installé sur l’épaule du technoprêtre. Lacrise s’affairait comme il pouvait, manipulant avec dextérité les outils que le capitaine Gebrakt lui avait confiés. Quelques instants plus tôt, l’Esprit de la machine enfin amadoué l’avait laissé entreprendre ses réparations, et semblait même guider l’adepte dans ses soins. Entre deux ou trois tours de clés, entre quelques soudures, il récitait des versets apaisants, ainsi qu’on le lui avait enseigné à le faire durant ses années de noviciat. Maintenant, le gros du travail restait encore à accomplir, mais tout serait désormais plus simple avec l’aide de l’Esprit de la machine.

 

Lacrise appliqua des huiles saintes sur les rouages antiques qui composaient le système de traction de la cabine du premier ascenseur. Puis, il posa simplement sa paume sur la plus grosse roue dentée. Il était attentif aux battements de son cœur autant qu’aux échos qu’il percevait au sein du métal. Il retint son souffle et attendit que la machine acceptât sa présence à ce niveau. Elle répondit favorablement à son auscultation, et instinctivement il sût où il devait porter son attention. Précautionneusement, il entreprit de démonter une à une les roues dentées et les galets sur lesquels étaient tendues les courroies de transmission. Puis il les nettoya de fond en comble, les graissa à nouveau et les réinstalla en murmurant quelques prières. Il balança à bout de bras son encensoir et dispersa la sainte fumée dans toute la cage. Enfin, lorsqu’il jugea qu’il avait fait tout son possible pour honorer et prendre soin de la machine, il se retira et initia le processus en appelant la cabine. Cette dernière vint à lui. Il monta, choisit un étage au hasard et inspira profondément avant d’appuyer sur le bouton. Avait-il exécuté tout le rituel convenablement ? Avait-il négligé quelque chose ? Si tel était le cas, il ne se souvenait plus de ce que cela eu put être, aussi pressa-t-il sur la rune d’activation. La cabine monta, à vive allure, puis s’arrêta. La porte s’ouvrit, c’était l’instant de vérité. Quatrième niveau : c’était bien ça. Lacrise souffla, soulagé. Il adressa une courte prière de remerciement au Dieu de la machine, et redescendit au premier niveau.

 

Plus que trois ascenseurs. Plus que neuf heures de travail...

 

***

 

C’est un technoprêtre épuisé mais heureux qui entra dans la cabine que les deux acolytes occupaient. Grendl était assise sur sa couchette, habillé d’une tenue à la fois très légère et très... suggestive. Pourtant, alors que son accoutrement mettait ses formes particulièrement en valeur, le technoprêtre n’y prêta pas attention. Il se laissa tomber sur sa propre paillasse, qui grinça horriblement sous son poids, et dit simplement :

 

-Par le Dieu-Machine, qu’il est bon d’œuvrer pour Sa gloire !

 

-Tu as relancé les ascenseurs ?

 

-L’Esprit de la machine avait été maltraitée mais j’ai su le flatter par mes prières et le ramener à de meilleurs sentiments. Je l’ai honoré comme il le méritait et je lui ai redonné sa gloire. A présent, tout est rentré dans l’ordre. Et toi ?

 

-Tu parles moi j’ai pris des mains au cul toute la journée...

 

-Forcément, attifée comme tu l’es.

 

-J’ai essayé d’enquêter durant mon service au mess des officiers, mais je n’y ai rien appris d’intéressant. Tout ce que je sais c’est que c’est une vraie meute de loup qui n’a pas touché une femelle depuis un certain temps. Je sens que mon service ces prochains jours ne vas pas être de la tarte.

 

-On devrait peut-être essayé d’enquêter dans l’équipage lui-même, non ? Voir si certains d’entre eux n’ont pas quelques infos à nous révéler... va-t-en savoir ! De toute façon, je pense qu’il faut tenter de recouper ce que nous tenons de Gebrakt. Qu’en penses-tu ?

 

-Humm... il avait l’air sincère, mais je pense la même chose que toi. Nous devrions contrôler ses dires. Une petite visite dans les quartiers de l’équipage s’impose, tu ne crois pas ?

 

-C’est aussi mon avis, même si j’aurais préféré dormir tout mon soul. Je suis mort de fatigue.

 

-Je te comprends, mais on n’a pas vraiment le choix. Tu veux bien sortir, le temps que je me change ?

 

Le technoprêtre grommela.

 

-J’ai la flemme, je tournerai le dos. De toute manière tu n’as pas grand chose à craindre de moi.

 

-Peu importe, c’est un principe, impudent personnage, cingla-t-elle.

 

-Ok ok, grogna-t-il.

 

Il se leva, sortit et claqua la porte un peu trop violemment. La peinture s’écailla encore un peu plus et tomba par plaque.

 

Grendl se regarda dans le miroir terni pendu au mur devant elle. Elle repensa à ce que le Technoprêtre venait de lui dire. « Tu n’as pas grand chose à craindre de moi ». Ou voulait-il en venir au juste ?

 

-Pff... il est chimio-castré ou quoi ? Oh et puis qu’ils aillent tous au diable !

 

Elle se dévêtit et se rhabilla avec des vêtements de loin plus neutres. Puis elle sortie et rejoignit Lacrise qui l’attendait sur le seuil.

 

-Allons-y, fit-elle.

 

Ils mirent une bonne dizaine de minutes avant d’atteindre le lieu de vie de l’équipage de l’Apothéose. La salle était vaste, mais l’affluence des matelots était telle qu’elle semblait malgré tout très petite. Des rangées de tables, des box, des chaises qui traînaient un peu partout. Les hommes étaient réunis par groupes compacts et très animés, les fumées de leurs cigalhos montaient en spires et noyaient la salle d’un brouillard opaque et malodorant. A cela s’ajoutait la sueur qui empestait de chacun. Un bar étalait son comptoir à droite. Grendl et Lacrise se dirigèrent vers le barman et commandèrent un verre de l’alcool du bord. Il avait une drôle de couleur et un goût douçâtre. Pourtant il n’était pas désagréable à boire. L’Arbites toussa malgré elle. Bien qu’elle soit une adepte parfois immodérée de l’Amasec, cet alcool-ci était redoutablement fort. Lacrise sourit, et se retourna pour entamer la conversation avec un marin accoudé à côté d’eux. Grendl le laissa faire. Il avait certainement plus de chances que lui d’obtenir les infos qu’ils souhaitaient. Les équipages des navires spatiaux, qu’ils soient marchands ou qu’ils appartiennent à la flotte impériale, étaient bien souvent très refermés sur eux-mêmes, d’après Lacrise. Elle avait de bonnes raisons de le croire puisque lui-même venait d’un tel milieu. Leur consanguinité favorisait des mutations mineures et des déformations qui inspiraient une crainte très forte aux citoyens des mondes impériaux. Lacrise lui-même en était un bon exemple, avec sa grande taille dégingandé et sa peau bleue pâle... au moins, il serait à même de mettre en confiance l’équipage du navire.

 

Il lui suffit de jeter un regard à la ronde pour s’en convaincre. Pas un seul de ces types n’était normal ! Ils étaient tous efflanqués ou rachitiques, de haute taille et trop mince ou au contraire petit et bossus, rabougris, ratatinés. Quand à leur peau... Grendl se trouvait déjà extravagante avec sa propre teinte de chevelure mais que dire de leur teinte naturelle à eux ! Bleu faible, blanc très pâle, violette... elle en venait presque à se demander comment un Inquisiteur particulièrement puritain n’avait pas déjà jeté tout l’Apothéose sur un bûché !

 

Elle revint s’intéresser un peu plus à la discussion qui maintenant allait bon train entre son équipier et le marin. Visiblement, Lacrise avait fait jouer le prestige gagné en remettant en marche les ascenseurs du bloc jaune pour lier plus facilement la conversation.

 

-J’ai entendu dire que c’était pas la joie sur 228 ces derniers temps, demandait innocemment le technoprêtre.

 

-Sûr que non l’ami ! Moi ça fait un ptiot moment qu’j’avions pas descendu là-dessous, mais j’ai un ami à moi qui a été récemment. Pourquoi ça ? T’avais l’intention de t’installer sur c’te foutu caillou ?

 

-Vaguement oui. Mais je me demande si je vais pas abandonner cette idée.

 

-Un peu mon n’veu que tu devrais. Là-bas c’est la misère. Ici le travail est dur, mais au moins on est payé à peu près dans les temps et on reçoit un salaire juste. Et puis y’a une certaine ambiance. Mais sur 228, pouah ! Rien de tout ça mon gars. Je te dirais pas que j’ai pas vu pire, ça serait pas vrai. Mais franchement faut avoir un sacré grain pour aller s’installer là-bas... Tiens, si tu payes un aut’coup à boire, je te filerai un bon conseil rien que parce que c’est toi et que tu m’es sympathique.

 

Lacrise sourit et commanda au barman un verre pour lui et un autre pour le vieux matelot. Ce dernier le prit et l’avala d’un trait sans s’émouvoir une seule seconde. Grendl n’en revenait pas.

 

-Ecoute mon gars. J’ai beaucoup bourlingué, j’ai vu plein de choses que y’a pas un mec sur plusieurs milliards dans tout ce secteur qui pourra prétendre avoir vu autant que moi. J’ai passé la cinquantaine, et je mourrai probablement dans pas longtemps sur ce rafiot. Alors prends ça comme tu veux mais dis-toi que c’est un homme d’expérience qui t’cause. Ouais gamin, v’là mon conseil : tout le monde a peur de nous sitôt qu’on met le pied quelque part oùsqu’y a un soleil qui brille dans un ciel, et encore ça c’est dans le meilleur des cas. Notre place à nous mon gars, elle est pas là, elle est ici, sur des barcasses comme celle-là t’entends ? Va pas chercher la fortune là où elle y est pas, parce que c’est ici qu’tu la trouveras la tienne ! Crois moi mon gars, je sais bien ce que je dis !

 

Grendl détourna la tête et se retint de pouffer de rire. Lacrise pensait dénicher un tuyau de premier ordre, il en était pour ses frais !

 

-Merci de ton conseil, vieil homme, j’y songerais bien. J’ai toujours aimé multiplier les avis : le mien et celui des autres. Mais dis-moi, tu disais tout à l’heure que tu connaissais quelqu’un sur ce navire qui était descendu récemment à la surface de 228 ?

 

-Ah ça pour sûr ! Tu vois le mec en train de se faire plumer à la table là-bas ?

 

Il lui désigna un attroupement d’où partaient des éclats de rire et des conversations enfiévrées. Lacrise acquiesça.

 

-Ben c’est lui. J’ai pas l’impression qu’il soit en veine ce soir.

 

Lacrise remercia le matelot, et s’approcha suivit de Grendl de la fameuse table. Effectivement, le marin ne semblait pas au meilleur de sa chance, à en juger par le tas de Trônes que son adversaire avait amassé devant lui. L’homme paraissait lessivé, et s’apprêtait à céder sa place. Lacrise le retint et se proposa de miser pour lui. L’autre le regarda, étonné.

 

-Ok, l’ami, c’est ton choix. Qu’est-ce t’en penses Kopt ? ajouta-t-il à l’adresse de son partenaire.

 

-Ben si ça lui chante de me filer sa fortune, je vais pas dire non huh ?

 

-Il a pas tort, dit le marin au Technoprêtre. Vous devriez ptet joué à ma place en fait.

 

-D’accord, mais dans ces conditions j’aimerais que nous jouions à deux. C’est à dire que vous me serviez de conseiller. Je tire les cartes, vous m’indiquez ce que vous pensez le meilleur, et je joue. Ca vous va ?

 

-Pour moi pas de problèmes, fit le premier.

 

-Pareil pour moi, répondit le second. Tiens je vais même être grand seigneur et vous proposer un tour à vide.

 

-C’est très aimable à vous, conclut Lacrise en s’installant à la place du marin malchanceux. Alors comment cela se joue-t-il ?

 

Son partenaire lui expliqua le principe. Heureusement, comme la plupart des jeux d’argent, les règles n’étaient guère compliquées. Lacrise tira quelques cartes, l’autre fit de même. Puis, il abattit son jeu. Son adversaire révéla le sien. Le résultat était sans appel : Lacrise perdait et de loin.

 

-Arf, la loose continue on dirait ?

 

-Bah heureusement c’était notre tour à blanc. Allez soyons fous, je mise quinze Trônes, lança l’adepte de Mars.

 

L’assemblée s’étonna.

 

-Quinze Trônes ! T’es drôlement fortuné l’ami, pour nous c’est pas loin d’être la moitié de notre salaire.

 

-Mais il me semble que tu possèdes au moins quinze Trônes sur la table, n’est-ce pas ?

 

L’autre prit un air songeur, réfléchit quelques instants, et répondit :

 

-Ok, j’aligne moi aussi quinze Trônes. C’est tout ce que Lew a perdu d’ façon.

 

Lacrise rebattit les cartes, en tira quatre et tendit le paquet à son adversaire. Chacun s’investit dans la réflexion, afin de déterminer la meilleure combinaison.

 

-Trois cartes de mieux ?

 

-Ok.

 

Ils détaillèrent de manière plus approfondie encore le jeu qu’ils avaient en main. Puis Lacrise lâcha :

 

-Servi.

 

-Ok.

 

Le marin abattit son jeu. Lacrise sourit, posa le sien et dit simplement :

 

-Par ici les quinze trônes.

 

L’autre fit la moue. Il perdait sur un coup de malchance tous ses gains de la soirée. Tous ces risques qu’il avait pris ne lui rapportaient rien.

 

-Allez, sois bon joueur Kopt, lança quelqu’un dans l’assistance. T’y as pas perdu non plus au final, non ?

 

De mauvaise grâce, il céda, donna les pièces au Technoprêtre et quitta la table après avoir empoché les siennes. La foule se dispersa. Le dénommé Lew prit sa place. Lacrise lui tendit son argent.

 

-Eh ben, si on m’avait dit que j’aurais une telle chance ce soir je l’aurais pas cru. Je ne sais pas qui vous êtes, mon brave gars, je ne vous connais pas et paf voilà que vous me remboursez alors que j’étais dans la panade ! Qui que vous soyez, soyez-en remercié !

 

-Bah, ça n’est rien.

 

-Tout de même, un peu plus et je n’avais plus un rond jusqu’à la fin du mois !

 

-On doit pouvoir s’arranger je pense, si tu veux me payer de retour. Ton ami là bas au bar m’a dit que tu étais récemment descendu sur 228. Je cherche justement des infos de première main, paraît que le climat n’y est pas clément.

 

-De première main, de première main, c’est vite dit, la dernière fois qu’on y est passé ça remonte à trois ans. Qu’est-ce que vous voulez savoir au juste ?

 

-Les troubles augmentent sur 228, c’est à cause de la pègre ? Je n’ai pas envie de me faire tirer tout mon argent ni me faire racketter le bénéfice de ma future boutique.

 

-Tu parles que c’est la pègre. Elle est pas spécialement plus active que nulle part ailleurs dans tout l’Imperium, si tu veux mon avis. Et ceux qui te racketteront ton bénef’, crois moi, ce sera sans doute plus les miliciens du Cartel que les bandes de malfrats. Tu sais ce que c’est que le Cartel ?

 

-J’en ai déjà entendu parler, oui.

 

-Ben tu vois, ça sera déjà bien sympa à eux de te laisser t’installer à ton compte, avant même de te racketter. C’est quoi comme boutique que t’avais en projet ?

 

-Réparation de matériel agricole.

 

-En plus ! Crois m’en mon gars, t’as pas une chance que ces pourris te laisse ouvrir ta boîte. C’est eux qui gèrent tout ça, et qui escroquent à tour de bras. Je sais que la révolte gronde sur 228, et je vais te dire un truc, c’est pas la faute de la pègre mais c’est celle du Cartel. T’as déjà entendu parler de la Coop’ ?

 

-Certes.

 

-Z’ont l’air d’être des agitateurs, comme ça, et le Cartel fait tout pour le faire croire aux yeux de l’Imperium, mais z’ont juste l’air, ça tu peux me croire. D’façon l’Imperium s’en tape le cul par terre des problèmes entre Cartel et Coop’, ce qui compte pour lui c’est que sa dîme rentre.

 

-Tu disais que la révolte gronde sur 228 ? C’est une info qui date de trois ans elle aussi ?

 

Son interlocuteur s’esclaffa.

 

-Haha, non l’ami, ça c’est du lourd, du récent et aussi du... confidentiel. Mais bon, tu m’as bien sorti de la mouise tout à l’heure, alors pour te remercier je vais te dire ce que je sais, histoire que ça te dépanne à ton tour. J’ai un ami contrebandier avec qui j’ai quelques euh... petites affaires hm... et lui a des contacts dans la pègre. Il m’a dit tout récemment avant le départ que son contact lui avait dit ça « la domination du Cartel n’en a plus que pour quelques jours ».

 

-Cela voudrait dire que tout est prêt à exploser ?

 

-Oui, mais ça peut être dans une semaine comme dans un mois. Là-dessus, je peux pas être plus précis. Bon tu m’excuses, mon gars, mais il faut que j’aille dormir. Je dois prendre mon quart dans trois heures, alors un peu de sommeil me fera le plus grand bien. Merci encore pour les quinze Trônes !

 

-Et merci à toi pour les renseignements. L’Empereur te garde !

 

-L’Empereur te garde aussi, adepte de Mars, fit-il en s’éloignant.

 

Grendl s’assit à la place laissée vacante.

 

-Ca se précise un peu non ?

 

-Oui, mais allons plutôt discuter de ça dans notre cabine, répondit Lacrise à voix basse.

 

-Ok.

 

Ils sortirent de la salle commune et remontèrent jusqu’à leur cabine. Ils s’installèrent et se préparèrent à dormir.

 

-Bon, commença Grendl maintenant que nous savons qui est qui dans cette histoire, on y voit nettement mieux. C’est clairement le Cartel qui martyrise la population.

 

-Certes, mais si l’Imperium ne juge pas utile de lui demander des comptes, je ne sais pas si nous pourrons remédier au problème. Et de toute façon, c’est pas notre boulot. Souviens-toi de ce que Von Didakt a dit. On est en mission de renseignements. A la limite, j’en serais même à me demander si nous n’avons pas déjà rempli notre mission.

 

-Je ne crois pas, non. Nous avons simplement des indications que la base de toute l’agitation est la pression du Cartel. Il est évident que nous n’aurons rien à gagner à détruire la Coop’. Quant à la pègre, elle a l’air relativement organisée. D’ailleurs, le problème sera peut être réglé pour nous puisque si l’on en croit les déclarations de ce Lew, la révolte ne va pas tarder à éclater.

 

-A mon avis, ça n’est pas une bonne nouvelle. On s’acheminerait alors vers une rébellion et une perte de contrôle de l’Imperium sur 228. Nous devrions enquêter là-dessus rapidement afin de faire remonter l’info et mettre au courant le plus vite possible Von Didakt. Lui seul aura l’autorité suffisante pour prendre et faire appliquer une décision.

 

-Je suis d’accord avec toi, mais dans l’immédiat le plus urgent me paraît de dormir. Ca fait plus de vingt-quatre heures si j’en crois mon horologium que nous sommes debout.


-MFT-


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8 mai 2009 5 08 /05 /mai /2009 08:59

Les deux acolytes restèrent impressionnés par le spectacle qui s’offrait à leurs yeux. Lacrise avait toujours aimé les navires, et l’Apothéose était le genre de bâtiment qui forçait l’admiration. Il ressemblait plutôt à un amalgame de différents vaisseaux qui auraient fusionné entre eux, et son âge canonique se déduisait de ses décorations les plus baroques. Si le gigantesque assemblage qu’était l’Apothéose en imposait déjà par lui-même, plus surprenant encore était le fait qu’il ait réussi à tenir jusqu’ici en un seul morceau ! Des salissures de rouilles pendaient de chaque rivet, suintait de chaque plaque, des morceaux de tôles semblaient ne rester en place que par l’action d’une volonté supérieure. Mais malgré son mauvais état de conservation, la majesté qu’il irradiait était tout simplement bluffante. Sans doute avait-il connu des jours meilleurs, mais ces jours étaient tellement anciens que le respect dû à ses vieilles bordées s’imposait comme une évidence. Peut être avait-il connu le temps où l’Empereur marchait encore parmi les siens ? Peut être même avait-il connu les temps reculés du moyen-âge technologique, peut être même ces temps perdus de l’âge d’or de l’Humanité quand cette dernière s’était répandue à travers les étoiles ? L’aspect vénérable de l’Apothéose autorisait à le penser...

 

Grendl quant à elle était soufflée par la démesure et l’incroyable magnificence du navire. Cette... chose... avait la taille d’une cathédrale, ou même de deux cathédrales, et était capable de voyager à travers l’espace ! Elle était capable d’atteindre des vitesses qui jouxtaient avec celle de la lumière ! Jamais elle n’avait cru possible qu’une telle machine, qu’une telle création humaine puisse jamais voir le jour ou fonctionner. Elle s’était toujours imaginé les nefs spatiales de ses récits comme des tubes oblongs, droits, symétriques et profilés à l’extrême. L’Apothéose était à cent lieus de répondre à ces mythes ! Quant à sa taille... elle qui jusque là avait pensé que les kilomètres de pont que décrivaient les légendes n’étaient que pure exagération, voilà qu’elle n’en était plus autant persuadée...

 

Comme s’il avait deviné l’objet de ses réflexions, Lacrise se tourna vers elle et lui dit d’un air connaisseur :

 

-Et celui-ci n’est qu’un cargo. Et d’une taille modeste encore. Attend donc que nous croisions un cuirassé de classe Emperor ou un « Retribution », tu verras que celui-ci n’est qu’une coquille de noix, le Dieu-machine m’excuse de m’exprimer ainsi !

 

Et comme il la voyait toujours plongée dans sa rêverie, il la prit par le bras et l’entraîna avec lui.

 

-Nous devons trouver le capitaine, ajouta-t-il. Ca n’est pas le moment de traîner, si ce navire part dans deux heures et demie, nous y mettre maintenant ne sera pas du temps perdu.

 

Heureusement pour eux, la capitaine était justement en train de superviser le chargement de sa cargaison. Des chariots entraient les uns après les autres poussés par des dizaines de dockers ou de serviteurs décérébrés par une ouverture de grande dimension pratiquée dans le flanc du vaisseau. Deux pans d’une trappe étaient relevés sur le dos du colosse, et des grues y descendaient des conteneurs d’une taille respectable après s’en être saisi sur le quai. Surveillant l’ensemble de ces opérations, un homme de haute taille, un pull over bleu à col roulé et aux manches retroussées passé sur le dos, un pantalon noir passé de mode lui couvrant les jambes, une casquette noire ceinturée de deux bandes d’or et frappée à son sommet d’un médaillon doré arborant un drôle d’objet, cet homme donc qui paraissait être le capitaine aspirait quelques bouffées de sa pipe tout en  promenant un œil attentif sur ce qu’il se passait devant lui.

 

Lacrise s’approcha de lui et, s’excusant de le déranger, lui demanda s’il était bien Rudolph Gebrakt, le commandant de ce magnifique vaisseau.

 

L’autre se retourna et leur fit face. Il avait le nez fort, un barbe noire lui cerclait le visage et lui noyait le menton, la bouche et jusqu’à son nez. Le même symbole que sur sa casquette était reproduit sur son vieux pull-over. Un objet très étrange : une croix centrale dont la barre horizontale se trouvait très proche du sommet de la barre verticale, sommet qui était surmonté d’un cercle évidé en son centre. A l’autre bout de cette crois, un arc de cercle étirait ses pointes triangulaires vers le haut de la figure, sans toutefois remonté bien haut. Aucun des deux de l’Arbites ou du Technoprêtre n’avait vu une telle chose. Il les dévisagea, puis dit simplement :

 

-C’est bien moi. Que puis-je pour vous ?

 

-Eh bien, nous souhaiterions... rejoindre la colonie 228. Nous avons décidé d’émigrer une fois pour toute, l’air vicié de Scintilla ne nous convient plus.

 

-Immigré sur 228 ? Ou vous avez perdu l’esprit, ou vous devez avoir de solides raisons de vouloir quitter Scintilla, fit-il d’un air soupçonneux en mâchonnant le tuyau de sa pipe.

 

-Non, nous n’avons rien à voir avec des trafiquants si c’est ce que vous sous-entendez, le reprit Grendl.

 

-Excusez moi cher mademoiselle, mais il bien rare que quiconque prétende le contraire... ce sont vos affaires, pas les miennes, et je ne veux pas d’ennui pour mon navire. J’ai déjà bien assez de mal à l’entretenir comme ça, si en plus je devais avoir des démêlés avec la justice ou pire, que deviendrai-je !

 

Il n’était pas besoin d’un être géni pour savoir que pire signifiait simplement l’Inquisition. Mais ils souhaitaient accomplir leur mission avec discrétion, du moins sans faire comprendre qu’ils faisaient partie de cette terrible organisation.

 

-Justement, nous sommes prêts à payer notre voyage... en trônes comme en service, lança le technoprêtre.

 

Il touchait un point sensible. L’homme à ce qu’il semblait, comme tout capitaine de navire d’ailleurs, était profondément attaché à son vaisseau, probablement plus qu’à sa propre mère disait-on même. L’argument fit mouche. Jugeant la robe du culte de Mars comme une potentielle source de réparations bien faites à l’œil, Gebrakt prit un air songeur et répondit à voix basse :

 

-Soit. Venez dans ma cabine.

 

Il abandonna à son second la tâche de veiller au bon déroulement du chargement, et pénétra suivi de Grendl et Lacrise dans les flancs du mastodonte par une passerelle de fer. Le premier lieutenant, un homme de forte carrure aux biceps disproportionnés et sur lesquels étaient tatoués le même symbole qu’arborait le capitaine sur sa casquette, et qui pour comble fumait aussi la pipe, opina simplement du chef pour acquiescer.

 

Ils parcoururent des dizaines de coursives, empruntèrent au moins autant d’escaliers et d’ascenseurs, et arrivèrent comme par enchantement dans les appartements du capitaine. La décoration, qui avait du être somptueuse, était sérieusement défraîchie, voire tombait carrément en lambeaux. Elle était bien à l’image de l’Apothéose lui-même : une oeuvre de temps meilleurs.

 

Le capitaine les pria de s’asseoir dans deux fauteuils cabossés, alla chercher dans une console une petite bouteille d’Amasec, en servit trois verres et revint vers eux. Il leur tendit les verres, puis s’assit lui-même dans un fauteuil mieux conservé que les autres.

 

-Alors qu’est-ce qui vous amène sur 228 exactement ?

 

-Je vous l’ai dit, répondit Grendl, nous souhaitons simplement changer d’air.

 

-Et vous avez choisi 228 pour le faire ? Je n’arrive pas à le croire !

 

-Paraît-il qu’il y a des troubles là-bas. Votre qualité de marchand itinérant vous aura peut être permis d’en savoir un peu plus sur le sujet ?

 

-Oh, vous savez, voilà des décennies que moi-même ne me suit plus rendu à sa surface, et mon dernier accostage en orbite de 228 remonte à trois ans. C’est le temps que je mets à peu près pour boucler mon tour. Mes informations ne seront pas de la dernière fraîcheur.

 

-Certes certes, fit le Technoprêtre, mais vous devez tout de même bien savoir quelque chose, des bribes d’informations... vous comprenez, nous souhaitons aller là bas pour ouvrir une boutique de réparateurs, voir une petite échoppe ou un estaminet, et nous connaissons très mal 228. Toute précision serait la bienvenue !

 

-C’est ce que je vois en effet. On vous a mal renseigné. 228 est sous la coupe d’un cartel industriel qui contrôle tout, depuis la vente des semences et du matériel agricole jusqu’à l’achat de la production et son expédition, en passant par la réparation des machines et la gestion administrative de la planète. Pour preuve, la dîme est récoltée par ses soins et payée par lui à l’Adeptus Terra. Forcément, vous pensez bien qu’ils en profitent. En plus j’ai entendu dire que les colons avaient été roulés dans la farine par le Cartel.

 

-C’est à dire ?

 

-Ecouter, je veux bien vous en parler, mais j’estime qu’en contrepartie, une petite compensation financière ne serait pas injustifiée, non ? Je vous aide, vous m’aidez, correct ?

 

-Attendez, capitaine Gebrakt, nous nous sommes déjà proposé pour vous aider durant notre voyage, vous pouvez bien nous offrir vos renseignements, non ?

 

-Justement, je vous embarque à mon bord, vous me rendez quelques services. Là nous parlons d’autre chose, n’est-ce pas ?

 

Lacrise se renfrogna.

 

-Comme vous le voyez, poursuivit le capitaine, mon bâtiment n’est pas dans le meilleur état qui soit, et je suis très attaché à lui. Je n’espère plus depuis longtemps lui rendre sa splendeur d’antan, mais enfin, si je pouvais parvenir à lui rendre un peu de la majesté qui lui est due ! Considérez donc votre participation comme un don charitable à un beau navire qui mérite mieux que le sort qui lui est fait !

 

Gebrakt était malin. Il savait que le Technoprêtre ne serait pas insensible à cet argument.

 

-Soit, fit enfin ce dernier. Qu’en penses-tu ? ajouta-t-il en se tournant vers l’Arbites.

 

-Ma foi... c’est d’accord, conclut-elle.

 

-Bien. En échange de cinquante Trônes, je vous révèlerai ce que je sais.

 

Les deux acolytes firent la grimace. C’était une sacrée somme ! Ils la payèrent tout de même. Gebrakt empocha les pièces et se mit à parler.

 

-En fait, la base du problème remonte à près de deux siècles. A l’époque, 228 n’était pas colonisée, et certaines firmes industrielles mandatèrent une expertise géologique afin de déterminer le potentiel minier ou agricole de la planète. Les résultats étaient favorables, et les firmes déployèrent leurs moyens au sol. Mais elles furent très vite déçues. La planète ne valait rien et les études avaient été falsifiées. Le Cartel trouva donc un autre moyen de rentabiliser les prix exorbitants qu’il avait du payer pour s’approprier les droits de concessions. Ils ont à leur tour utilisé un rapport truqué, et ont sans doute usé de corruption dans le personnel politique de Scintilla. Après une campagne de publicité, huit mille familles sont parties s’installer là bas, bercées d’espoirs d’une vie meilleure. Ils payèrent à leurs tours très cher les actes de propriété. Et ce fut une cruelle désillusion. Depuis le Cartel les exploite, puisque tout ce qui est nécessaire aux colons est sous sa dépendance. Forcément, le ressentiment est fort là bas, à la fois contre le Cartel mais aussi contre l’Imperium qui est de connivence. Tant que la dîme est payée, peu lui importe. Et vous pensez bien que le Cartel se sert aussi sur la bête, en prenant plus que la dîme au passage.

 

-Hmm ceci expliquerait donc cela. Avez-vous une idée de qui mène le jeu de la rébellion ?

 

-Oui mais ça ne sera pas gratuit non plus, fit Gebrakt d’un air malicieux. Vingt Trônes de mieux.

 

-Alors ? interrogea Grendl tout en donnant la somme convenue au capitaine.

 

-Eh bien, d’un côté évidemment il y a la pègre de 228, qui entretient un climat terrible de terreur. Racket, vol, contrebande, et plus encore, vous voyez ce que je veux dire. Je me suis d’ailleurs laissé dire que le principal objet d’exportation, le haricot gavoir, rentre dans la composition de certaines drogues. Pas étonnant donc que la pègre soit si active. 

 

-C’est étrange, car sur toutes les planètes de l’Imperium existe une pègre. Faut-il que ce haricot soit si important pour les réseaux parallèles pour que le désordre augmente à ce point ?

 

-C’est probable, mais la misère et la pauvreté n’arrange rien à l’affaire. Et puis il y a un deuxième contestataire organisé : la Coopérative Agricole. Ces gens se sont mis dans la tête de résister au Cartel en se regroupant et en se débrouillant seuls. Ils ne sont pas ouvertement violents mais comme ils attirent forcément la sympathie, la violence qui peut leur être faite entraîne souvent des réactions intenses dans la population et le Cartel a bien du mal à maintenir l’ordre avec ses milices. De fait il évite de s’en prendre trop ouvertement à eux.

 

-Connaissez-vous le nom des meneurs ? dit Lacrise.

 

Gebrakt sembla hésiter. Il fait la moue, tritura sa pipe et ses yeux paraissaient refléter un débat intérieur qui aurait secoué son âme.

 

-Je suis prêt à y mettre le prix, ajouta le Technoprêtre.

 

-Vous comprenez ce sont des amis, surtout le directeur de la Coop’, je ne veux pas les livrer à l’Inquisition.

 

Lacrise joua le jeu et fit tomber le masque.

 

-Comme je suppose vous n’aimeriez pas qu’elle vienne mettre son nez dans vos affaires à vous, n’est-ce pas ?

 

Gebrakt ne répondit pas. Manifestement aucune des deux alternatives ne lui plaisait et la conversation prenait un tour qui n’était pas prévu et qui ne lui convenait pas du tout. Finalement, dut-il se dire, de deux maux on prend le moindre.

 

-Donnez-moi cent trente Trônes et je vous donne leurs noms.

 

-Eyh ! fit Grendl estomaquée, c’est cher ! Ne pourrions-nous pas trouvé un arrangement plus... appréciable ? ajouta-t-elle en dénudant savamment son épaule.

 

-Pas du tout ! Je trahis déjà mes amis, et j’aime encore mieux vous dire que centre trente Trônes ça n’est rien comparé à ce que cela me coûte ! Quant à votre proposition, sachez que j’ai une femme, deux enfants, et que j’y tiens !

 

-Très bien, coupa Lacrise, voici cent trente Trônes.

 

Gebrakt les empocha et dit simplement :

 

-Abraham « Irritatus » Deca et Torvaeus Scheldron. Le premier dirige la pègre, le second la Coop’.

 

Il dit cela dans un souffle, effondré au fond de son fauteuil. Effectivement, cela lui avait coûté beaucoup, et probablement donnait-il là les bonnes informations. De toute façon, il serait nécessaire de les recouper par une enquête menée au sein de l’équipage.

 

-Bien, fit Lacrise. Voilà qui est satisfaisant. Et que pouvons-nous faire pour vous aider, alors, cher capitaine Gebrakt ?

 

L’autre ne répondit pas tout de suite.

 

-Comme vous pouvez-vous en douter, adepte de Mars, mon navire aura bien besoin de vos services. Vous pourrez déjà commencer par réparer la batterie d’ascenseur Jaune 3. La plupart du temps, ils vous envoient là où ils veulent et non pas là où vous le souhaiteriez, quand ils ne tombent pas en panne tout simplement et refusent de vous laisser sortir. Je pense que vos compétences seraient bien utiles pour dialoguer avec l’esprit de la machine et comprendre pourquoi il est aussi réticent.

 

-Et moi ? dit Grendl.

 

-Quant à vous, je n’ai personne pour servir le mess des officiers. Présentez-vous à onze heures auprès de l’officier d’intendance du mess, il vous remettra l’uniforme approprié et vous donnera vos consignes. Venez avec moi, conclut-il, je vais vous montrer votre cabine.

 

-MFT-

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13 avril 2009 1 13 /04 /avril /2009 11:44

Après un réveil très matinal, Grendl et « Lacrise » déjeunèrent d’une façon très succincte et cherchèrent à gagner les docks attenants aux entrepôts démesurés de la Main d’Or, la bourse à la fois de Tarsus et de Scintilla toute entière. Là bas s’échangeaient les ressources, les actions, les obligations, les masses d’argent et de marchandises. Là bas se faisaient et se défaisaient les fortunes, les royaumes du commerce et les empires de la finance. Là bas mourraient à leurs tâches les traders, que ce soit par inanition ou par la main d’un assassin d’une maison rivale. A proximité immédiate de ce cœur économique de Scintilla se trouvait les entrepôts où les marchandises échangées étaient stockées en attendant qu’on vienne les chercher. Autant dire que dans les profondeurs de ses rayons, certaines dormaient là depuis des siècles, attendant que leurs défunts possesseurs viennent les réclamer...

 

Nos deux acolytes se présentèrent donc aux docks qui faisaient transiter toutes ces cargaisons depuis les immenses cargos en orbite, accostés aux quais orbitaux, et qui déchargeaient sur des navettes atmosphériques leurs contenus. Ceux-ci filaient alors droit au port de Tarsus et étaient mis à l’abri dans les entrepôts.

 

Résolument, « Lacrise » se dirigea vers le quai de départ des navettes qui effectuaient les transports de passagers. Grendl le suivit. Le technoprêtre aborda alors un homme, qui semblait être le pilote d’un des vaisseaux en partance. Il ne fallut pas beaucoup de temps pour qu’il acceptât de prendre ses interlocuteurs à son bord. Il dévisagea rapidement l’adepte du clergé de Mars, puis jugeant qu’il n’avait rien à lui dire, se tourna vers l’Arbites.

 

-Avez-vous déjà pris une navette atmosphérique, mademoiselle ? questionna-t-il.

 

Elle répondit par la négative.

 

-Les premières fois sont toujours très désagréables. Ca secoue dans tous les sens, et ceux qui n’y sont pas habitués sont souvent... malades... si vous voyez ce que je veux dire ?

 

-Malade dans le genre ... malade ?

 

-Exactement.

 

-Et y’a-t-il quelque chose pour éviter ce genre de désagrément ?

 

-Avalez ce cachet. Attention ! Ca fonctionne, mais ça peut avoir des effets secondaires.

 

-Dans quel style ?

 

-Un abrutissement temporaire... compter quelques heures vu votre corpulence...

 

-Intéressant. Ok, donnez-moi votre cachet.

 

Grendl prit la pastille rose, la porta à la bouche et l’avala tant bien que mal.

 

-Ca fera effet dans une dizaine de minutes, prévint le pilote. Installez-vous, décollage dans quinze minutes !

 

A l’heure dite, après avoir préchauffé les moteurs et fait les vérifications d’usage, l’homme poussa les commandes et lança les réacteurs à pleine puissance. Ils rugirent avec force, et la navette s’éleva vers l’immensité étoilée.

 

Grendl ne bougeait plus, ne répondait plus aux questions, avait l’œil glauque et bavait légèrement. « Lacrise » lui paraissait supporter les secousses et les chocs de la montée en orbite avec patience et stoïcisme. Enfin, les chocs prirent fin et le noir sidéral emplit tous les hublots.

 

Il fallu une bonne heure et demie avant que le pilote ne posa son engin sur la plate-forme d’atterrissage 442. Les acolytes sortirent et se dirigèrent vers la capitainerie. S’il y avait un navire en partance pour 228, le plus sûr moyen de le savoir serait sans doute d’aller se renseigner par là-bas. Ils mirent un certain temps à trouver le bâtiment mais finirent tout de même par découvrir les locaux. Ils entrèrent. Des adeptes, des serviteurs, allaient et venaient comme des insectes fous, franchissant des portes, parcourant des couloirs, arpentant d’innombrables kilomètres de sols. Un adepte à la peau parcheminée par la vieillesse se trouvait seul dans cet intarissable mouvement perpétuel à rester de marbre, immobile, comme un phare au beau milieu d’une tempête, dans la houle des fonctionnaires plus ou moins cybernétisés. Comme guidés par une balise, un aimant surpuissant, « Lacrise » et Grendl s’avancèrent vers lui. Ils découvrirent vite qu’il se trouvait derrière un guichet, ce qui expliquait son immobilisme si singulier. L’Arbites le salua, imitée en cela par le Technoprêtre. L’autre écarquilla les yeux devant l’apparence étrange de ses interlocuteurs, mais daigna répondre à leur salut. Immédiatement, Grendl entama la conversation.

 

-Je cherche le prochain navire en partance pour la colonie 228, déclara-t-elle.

 

-La colonie 228 ? Laissez-moi regarder quelques instants, répondit-il simplement.

 

Il pianota sur son moniteur de contrôle, puis releva les yeux.

 

-Vous avez de la chance, le prochain cargo part dans trois heures du quai C37. Son nom est : l’Apothéose, capitaine Rudolph Gebrakt.

 

-Comment accèdes-t-on au quai ? interrogea le Technoprêtre.

 

L’adepte leur indiqua le chemin le plus court. Par chance, le quai n’était guère éloigné.

 

-Une petite question, messieurs dames : pourquoi cherchez-vous à rejoindre 228 exactement ?

 

L’adepte de Mars sembla maugréer quelque chose qui ressemblait vaguement à « ça te regarde ? » mais Grendl répondit délibérément et sur l’air le plus innocent du monde : 

 

-Nous partons nous installer là-bas, voyez-vous. Scintilla ne nous convient plus. Pourquoi ? Auriez-vous quelques renseignements ?

 

-Oh, très peu, par l’Empereur ! Mais je sais que les choses vont mal là-bas.

 

-En quoi ? fit l’Arbites d’un air intéressé.

 

-Il paraîtrait que le crime soit féroce là bas, et que les colons rongent leurs freins. Le climat est tendu, aux dires des marins. M’enfin vous savez moi... j’en ai juste des retours par quelques matelots qui débarquent, et vous savez, un voyage marchand prend plusieurs années. Mes renseignements ne sont pas des plus frais si je puis dire...

 

-Merci à vous, toutefois, répondit poliment Grendl. L’Empereur soit avec vous.

 

L’autre lança en écho la même formule consacrée. Les Acolytes s’éloignèrent. Grâce aux indications du vieil homme, ils ne mirent pas longtemps avant de rejoindre le quai C37. Lorsqu’au détour d’un hangar ils débouchèrent sur le quai, le spectacle qu’ils contemplèrent était proprement stupéfiant. Long d’environ cinq cent mètres, haut comme une des cheminées des manufactoria de Sibelius, l’Apothéose étirait ses flancs étrangement taillés le long du quai, sa proue touchait presque le champ de confinement. Derrière le voile bleu électrique parcouru de reflets mauves qui s’étendait de part en part de la baie d’envol brillaient les millions d’étoiles qui constellaient les ténèbres de l’espace infini.

 

-MFT-

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23 mars 2009 1 23 /03 /mars /2009 17:21

Après avoir erré pendant plus d’une heure dans les couloirs tortueux du Tricorne, les deux acolytes trouvèrent enfin le guichet qu’Otto von Didakt leur avait indiqué. Derrière le comptoir, un vieil adepte racorni, à la peau jaunâtre et au regard mauvais, les observait du coin de l’oeil, espérant sans doute que les deux intrus rebroussent chemin ou filent vers un autre guichet. Malheureusement, il était seul. Le Technoprêtre le premier s’avança. Son allure très particulière rebuta le fonctionnaire, et ce fut d’une voix encore plus aigre qu’à l’accoutumée qu’il se força à lui adresser la parole.

 

-Qu’est-ce que vous voulez ? couina-t-il.

 

-Matricule OVD051, énonça-t-il comme on lui avait pris à le faire lors de son entrée au sein de l’institution. Je viens retirer ma solde.

 

L’autre maugréa quelque chose, tapa le numéro de son interlocuteur et le fit patienter une ou deux minutes de plus, pour lui faire sentir qu’il n’était qu’un importun.

 

-« Lacrise » numéro-matricule OVD051. 150 trônes.

 

Il se pencha, ouvrit un petit coffre et lui donna la somme annoncée.

 

-Suivant, grinça-t-il.

 

La jeune Arbites se présenta à lui.

 

-Matricule OVD052. Je veux moi aussi ma solde.

 

A nouveau, le même cinéma. Puis :

 

-« Grendl » numéro-matricule OVD052. 70 trônes.

 

Il les lui remit. Il allait les congédier quand la jeune femme lui demanda :

 

-Nous devons rejoindre la colonie 228. Comment y arrive-t-on ?

 

L’autre explosa :

 

-Je suis un guichetier, pas un bureau de renseignements ! Si votre Inquisiteur vous l’a pas dit, c’est qu’il veut que vous vous débrouillez vous-même, c’est quand même pas compliqué à comprendre non ?  Laissez-moi faire mon boulot, chacun ses emmerdes !

 

Les doigts de « Lacrise » commencèrent à s’agiter nerveusement. Grendl, passablement énervée par l’heure passée à chercher leurs chemins dans ce dédale, lui planta son regard bleu acier droit dans les yeux. Elle sortit un épais gourdin de son rangement derrière son dos. La masse eut un effet persuasif sur l’adepte.

 

-Faudra rejoindre les docks orbitaux de la ruche Tarsus. Pour ça, y’a pas trente-six solutions, faut embarquer dans un des véhicules qui font la liaison entre le Tricorne et la cathédrale de l’Illumination.

 

L’indication avait l’air de lui avoir arraché les entrailles. « Lacrise » sortit sans rien dire. Grendl lui lança un « merci » sarcastique, et rejoignit le Technoprêtre dehors.


-Avec tout ça, nous ne sommes guère plus avancés. Nous ne savons même pas où se trouvent les garages, conclut-elle.

 

L’autre acquiesça en silence.

 

La chance voulut qu’ils trouvèrent plus vite les hangars que le guichet. Un gigantesque hall s’étendait devant eux. Touchant la surface de Scintilla, loin dans les racines du Tricorne, des alignements de quais desservaient des véhicules de toutes les tailles et de toutes les formes. Ils avisèrent des engins anti-grav, à la silhouette fine et racée. Sans doute de rapides engins. De plus, ceux-ci arboraient le sceau de l’Inquisition. Sans hésiter, Grendl et « Lacrise » s’avancèrent vers ceux-ci. Un homme armé marcha à leur rencontre.

 

-Où allez-vous, vous deux ? les interpella-t-il.

 

-Nous devons rejoindre Tarsus au plus vite, répondit Grendl.

 

Le garde partit d’un grand éclat de rire.

 

-Et est-ce que vous disposez de la rosette inquisitoriale ? Non n’est-ce pas ? Pas de rosette, pas de speeder mes agneaux ! Ces engins sont réservés aux Inquisiteurs en mission, fit-il d’un ton plus neutre. Il m’est totalement interdit de vous en confier un.

 

-Comment voulez-vous que nous rejoignions Tarsus alors, par l’Empereur ?

 

-Vous voyez ces tas de cambouis ? Ce sont les transporteurs qu’utilisent les sous-traitant qui ravitaillent en vivres le Tricorne. L’un d’eux pourra s’en doute vous emmener, mais ne vous attendez pas à ce que ça soit gratuit.

 

-Merci du renseignement.

 

Résignés, Grendl et « Lacrise » firent demi-tour. Après un bon quart d’heure de recherches, ils parvinrent à se faire accepter contre quelques trônes dans la cale d’un cargo. Le véhicule était assez étrange, une énorme caisse simplement supportée par quatre trains de roulements chenillés s’étirait sur une cinquantaine de mètre de long et au moins quinze de haut. Ils allaient devoir voyager douze heures durant enfermés dans la chose, entourés de caisses contenant divers matériaux mécaniques, et traverser le désert de Tarsus. Ce ne serait pas une mince affaire, la chaleur allait être étouffante et les chaos de la route n’allaient rien arranger à l’inconfort.

 

Et cela ne manqua pas d’arriver. Au bout de six heures de routes, les convoyeurs firent une pause afin de déjeuner. Ils firent sortir deux passagers perclus de courbatures, les vêtements collés au corps par la sueur (à la plus grande joie des deux conducteurs lorsqu’ils regardèrent vers l’Arbites). A l’ombre précaire du véhicule, la chaleur atteignait malgré tout des températures infernales. Grendl et « Lacrise » s’approchèrent des deux hommes, et leurs demandèrent s’ils pouvaient se joindre à eux. Les deux autres se regardèrent.

 

-Pour sûr, fit l’un d’eux, mais ça fera douze trônes.

 

-Quoi, vous voulez rire ? Rien que pour l’un de nous, tout ce que vous avez à proposer dépasse pas deux trônes !

-Peut être, mais c’est vous qui n’avez rien à grailler !

 

-Et essayez pas de nous menacer de mort avec votre artillerie, renchérit le second, vous seriez pas capable de faire fonctionner ce foutu bahut !

 

« Lacrise » émit un grognement mauvais alors qu’il ressentait comme une insulte personnelle que l’on déprécia une oeuvre habitée par l’Esprit de la Machine.

 

-Bien, fit Grendl. Et contre une pleine bouteille d’Amasec ?

 

-Désolé, mais le frangin et moi on a déjà tout ce qu’il faut de ce côté là. La maison rigole pas avec ce genre de choses. La qualité sinon rien !

 

-Ok, alors disons trois trônes chacun et je ne révèlerai pas votre conduite à l’Inquisiteur Otto von Didakt.

 

Le premier s’étrangla avec le morceau de viande qu’il mâchouillait. L’autre recracha avec force la lampée d’Amasec qu’il s’envoyait derrière le foulard. Visiblement, le nom et le titre de von Didakt avaient produit un certain effet... désagréable.

 

-Ce serait dommage que la maison perde son contrat n’est-ce pas ? insista Grendl.

 

-Ben ça pour sûr... on rigolait mam’zelle ! s’excusa le premier maladroitement.

 

-Ouais, on vous cède le tout pour un trône chaque ! Parole.

 

Grendl se demanda d’un coup si c’était le titre ou le nom de leur maître qui avait  autant impressionné les deux andouilles. « Lacrise » comme elle semblait tout ignorer de l’Inquisiteur, mais ça n’était apparemment pas le cas de tout le monde. Il serait peut être bien de tirer ça au clair, mais ça nes serait sûrement pas ni de Von Didakt lui-même, ni des convoyeurs qu’elle apprendrait quelque chose, ces derniers s’étant littéralement retranchés dans leur cabine.

 

Le repas rapidement expédié, ils remontèrent dans le véhicule et le trajet, long, suant, éreintant et par dessus tout inconfortable reprit pour six heures de plus. Finalement, le bahut arriva à bon port. Les deux envoyés de l’Inquisition ne s’attardèrent pas. Ils allèrent droit à l’immense auberge qui accordait l’hospitalité aux pèlerins désireux de visiter la cathédrale de l'Illumination. Le sait lieu était tellement gigantesque qu’aucun superlatif ne pourrait jamais en rendre toute la majesté. C’était le plus grand bâtiment de l’Ecclésiarchie de tout le secteur. Ses dômes étaient supportés par des statues humaines d’une centaine de mètres de haut, et ce au sein même de la cité ruche de Tarsus ! Un flot ininterrompu de pèlerins y entrait et en ressortait pour adorer les reliques de St Drusus. Les plus riches parvenaient à s’installer pour une nuit ou deux dans l’auberge tenue par une cohorte de serviteurs et de prêtres. Ce fut là que se posèrent Grendl et « Lacrise », après avoir réussi à s’extraire difficilement de la lente procession. Ce fut non sans mal qu’ils purent enfin gravir les marches et trouver une cellule qui les accepta.

 

Après avoir avalé un maigre bol de soupe en guise de dîner, ils quittèrent le réfectoire. « Lacrise » était tout de même parvenu à refiler une gousse d’ail en échange d’un croûton de pain supplémentaire à bonhomme attablé plus loin. L’autre n’avait pas gagné au change, mais avait accepté pour que l’étrange chose à la peau bleue, bardé de fils électriques et de câbles d’énergie et vêtu d’une lourde robe rouge dont la capuche lui tombait sur les yeux, et qui lui fichait la trouille, le laissa le plus vite possible tranquille.

 

Grendl s’assit sur sa paillasse face au Technoprètre. Ce dernier retira ses bottes, se mit à genou et sortit de sous sa robe un encensoir de cuivre. Interloquée, l’Arbites regarda l’autre enfumé la pièce de vapeurs sacrées tout en marmonnant des psaumes à travers son respirateur. Puis, tandis que Grendl toussait comme une tuberculeuse, il prit sa carabine et son pistolet laser, les enduisit d’huiles sacrées et apposa ses mains tendues sur ses armes. Il récita encore quelques versets, puis il se retourna vers la jeune femme :

 

-Veux-tu que je bénisse tes armes également ?

 

L’esprit trop embrumé pour répondre, elle lui donna son fusil ainsi que sa boîte de cartouches. Il réitéra le rituel, puis les lui rendit. Enfin, il s’assit à son tour sur son lit.

 

-Bien, fit il de sa voix au ton métallique, maintenant que l’Esprit de la Machine est contenté, nous pouvons dormir.

 

-Eyh, attend un peu « Lacrise », et si nous parlions un peu d’un plan d’action.

 

L’autre tiqua lorsqu’elle l’appela par son nom. Il résolu dans faire autant.

 

-Je dois reconnaître qu’il y a du bon sens là-dedans, « Grendl ».

 

Elle feignit de ne pas remarquer l’accent péjoratif.

 

-Il faut nous trouver un navire en partance pour 228 le plus vite. Je ne sais pas situ as remarqué mais notre maître à l’air passablement connu, et pas en bien. Je ne pense pas que nous ayons intérêt à le décevoir. Tu sais comment on peut quitter cette planète ?

 

-Il faut rejoindre les docks orbitaux de Tarsus. A partir de là, trouver un capitaine en partance pour 228 en se renseignant à la capitainerie ou dans les tripots.

 

-Et comment rejoint-on ces fameux docks ?

 

-On empruntera l’une des navettes de liaison qui font le transit entre les entrepôts de Tarsus et les docks. Il y a des départs à toute heure, mais le plus tôt nous serons parti, le mieux ce sera. Je déteste poser les pieds sur un sol.

 

-Comment sais-tu tout ça toi ? lâcha une Grendl surprise.

 

-Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je ne suis pas originaire de cette planète. Il a bien fallu que j’y atterrisse. Dormons à présent, conclut le Technoprêtre.

 

-MFT-

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12 mars 2009 4 12 /03 /mars /2009 18:56
Aujourd'hui est un grand jour !

Dans les ténèbres d'un lointain futur, il n'y a pas de paix, pas d'aide, pas d'espoir, il n'y a que la guerre.

Ou presque.

L'Humanité lutte pour sa survie avec acharnement. Au premier rang de ses défenseurs se dresse l'Inquisition. Ses innombrables Inquisiteurs traquent avec l'aide de leurs cellules d'acolytes les germes de la corruption et de l'hérésie dans la population. La mort ou la folie guette à chaque détour ces terribles hommes et femmes attelés à leur non moins terrible tâche, mais le but ultime vaut tout les sacrifices : sauver l'Humanité d'elle-même !

Suivez les aventures de l'une de ces cellules à travers le récit qui suit !

Bonne lecture !

-MFT-
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12 mars 2009 4 12 /03 /mars /2009 18:53

Le Tricorne. Tel était le nom du palais de l’Inquisition qui étalait la magnificence de ses façades et l’outrageuse splendeur de ses décors dans les entrailles de la ruche Sibellus, la plus grande et la plus ancienne des cités de Scintilla, planète capitale du secteur Calixis. Le sombre bâtiment lançait ses trois gigantesques tours vers le ciel, dardant loin à travers les dômes et les terrasses des niveaux supérieurs de la ville.

Mais pouvait-on parler encore de ville ? Les ruches humaines étaient des conglomérats d’immeubles, empilés les uns sur les autres, grimpant et s’effondrant tour à tour, s’enchevêtrant en des entassements hallucinants. Ses spires, ses flèches et les dômes des niveaux supérieurs perçaient loin à travers les nuages, ne recherchant visiblement qu’à rester toujours « la » plus haute flèche de la ruche. Leurs possesseurs et résidents, les familles nobles de Scintilla, habitaient ces niveaux supérieurs, « gouvernaient » et « administraient » la cité en théorie, en fait rivalisaient en des luttes d’influences meurtrières, s’escroquaient, se pavanaient, se prélassaient dans la débauche ou le luxe, ou s’offraient parfois quelques distractions excitantes en allant chasser le « manant » dans les niveaux subalternes.

Les niveaux subalternes étaient composés avant tout de fantastiques manufactoria, vomissant leurs fumées nocives, noyant tout les niveaux inférieurs dans la pollution, la poussière et recouvraient la misère ambiante d’un nuage de toxicité comme elles recouvraient les rares dômes qui laissaient passer la lumière du ciel d’une chape de plomb. Là, se traînait une population toujours laborieuse, jamais au repos, qui errait des manufactoria à leurs foyers désolés et vice versa, prenant à peine le temps de trouver leurs subsistances. Hormis le crime, l’alternative à ce cauchemar quotidien n’existait pas. C’est pourquoi bon nombre de résidants choisissaient de se faire racaille plutôt qu’ouvrier. Dans ces lieux prêchaient les missionnaires à moitié fous de l’Ecclésiarchie, et sévissait les cultes plus ou moins légaux ou carrément hérétiques. Mais cet enfer était un havre de paix par rapport aux sous-niveaux de la ruche.

Les sous-niveaux n’étaient habités que par les rebuts de la société, les mutants et d’autres abominations encore pires. Dans ces dédales de bâtiments effondrés, dans les effluves des lacs irradiés, des déchets et des immondices, sévissait la pire guerre des gangs qui soit. On ne condamnait jamais à mort dans Sibellus. On envoyait les condamnés dans les sous-niveaux. Un sort bien pire...

 

Le Tricorne. A l’intérieur de cet édifice gargantuesque, une myriade de couloirs, de niveaux et salles traçait un si fantastique labyrinthe que personne, hormis peut être l’Inquisiteur Aegult Caidin, le maître de lieux depuis plus de deux cents ans, personne n’en connaissait le tracé exact. Quand à tous les arpenter, il était fort probable qu’une vie n’y suffise pas, et l’eût-elle suffit que cela aurait été encore impossible. De l’auditorium du conclave aux derniers des cachots les plus secrets, en passant par les salles d’interrogatoire et celles des archives, une véritable spatialisation de la hiérarchie, de l’interdiction tatillonne et du niveau d’accréditation s’était profondément ancrée dans le bâtit. Aucun lieu n’était accessible sans laisser passer, et l’échelle des autorisations était au moins aussi haute que les flèches que la noblesse de Sibellus s’évertuait à dresser au-dessus des têtes de ses voisines.

Dans un de ces innombrables couloirs, deux personnes attendaient devant une épaisse porte d’acier. Pour l’humain normal, la méfiance était déjà de mise lorsqu’il se trouvait confronté à un semblable. Qu’aurait-il fait s’il avait eu à rencontrer les deux inconnus qui patientaient depuis maintenant plus d’une heure qu’on les fasse enfin pénétrer dans la pièce attenante ?

Le premier, vêtu d’une longue robe rouge écarlate, laissait provenir un sifflement intermittent à travers le respirateur facial qui lui masquait la bouche. La capuche qui tombait sur son visage et jetait un voile d’ombre sur sa face ne laissait briller que le reflet des torches du couloir dans le violet de ses pupilles. Ses longues mains délicates mais à l’étrange teinte bleutée émergeaient parfois des manches de sa robe pour tripoter machinalement l’Opus Machina, le symbole du culte des Technoprêtres de Mars. Un cantique sacré à la gloire du Dieu-Machine accompagnait généralement ce petit geste d’impatience. Parfois aussi, un mouvement de tête laissait entrevoir de longs cheveux noirs. D’une stature plutôt imposante, l’homme (car s’en était bien un) trompait son ennui en se réfugiant dans la vénération et la prière.

Le second, ou plutôt la seconde, était une jeune femme à la peau noire revêtue de l’uniforme des recrues de l’Adeptus Arbites, un gilet composite était passé dessus la veste. La chevelure aux couleurs de la pourpre qui lui coulait du haut du crâne jusque sur les épaules lui donnait un tour pour le moins étrange. Ses yeux bleus perçaient les ténèbres d’un regard d’un froid d’acier, d’un regard déjà inquisiteur et soupçonneux. Assise le dos collé au mur, l’Arbites contemplait son fusil posé entre ses jambes. On aurait plutôt dut dire que son regard se perdait dans le vague, loin derrière son arme. Ses pensées volaient sans doute de sujet en sujet, l’ennui étant plutôt propice à ce genre de réflexions fugace. Sa carrure, bien qu’en partie dissimulée par les habits amples et mal ajustés qu’elle avait reçu lors de son intégration, semblait être svelte et robuste à la fois, agréable à l’oeil par ses proportions tout en trahissant une vigueur physique acquise par un entraînement constant.

Aucun des deux n’avait adressé la parole à l’autre. L’Arbites paraissait plutôt repoussée par l’allure générale et peu engageante de son voisin. L’autre lui rendait son mépris, elle qui n’avait sans doute jamais mis les pieds dans l’espace ni contemplé les étoiles autre part que sur le képi d'un officier.. Dans ce silence pesant, les minutes passaient les unes après les autres, lentement, très lentement. Rien ne venait troubler leur attente, pas même le passage d’un serviteur décérébré. Ce couloir était désert, et abandonné de tous... à tel point que les deux inconnus commençaient à se demander ce qu’ils attendaient pour repartir...

 

Soudain, sans que rien ne l’eu annoncé, la porte s’ouvrit et libéra le passage à un serviteur mécanique. La chose, montée sur des chenilles, le corps au trois quart recouvert de fils électriques et de conduits d’alimentation, leur indiqua d’un bras d’entrer.

Ils pénètrent dans un vaste vestibule, aux tentures d’un rouge profond, d’un rouge carmin rehaussé de fils d’ors. Deux statues de marbre blanc évoquant des reproductions d’oeuvres aujourd’hui à jamais perdues encadraient les visiteurs. Un vieil adepte, au nez recourbé et au regard méfiant, les pria de bien vouloir continuer plus avant, poussant même l’amabilité jusqu’à leur ouvrir la porte. Ils passèrent le seuil, et s’arrêtèrent, interloqués. Ce qu’il voyait dépassait en magnificence tout ce qu’ils avaient déjà vu auparavant. Des broderies, des tableaux, des sculptures se partageaient une bonne part des murs de la pièce. Le reste était occupé par des rayonnages de livres, de fichiers et de banques de données informatiques. Jamais encore ils n’avaient vu tant de richesses concentrées en une surface pourtant somme toute peu étendue. Une porte s’ouvrait entre deux bibliothèques. Au bout de la pièce, leur faisant face, un homme était assis dans un fauteuil de bois précieux, aux coussins de satin. Son visage était assez beau, sa peau bronzée comme s’il avait passé trop de temps exposé à la chaleur d’un lance-flammes. Une prothèse bionique avait remplacée son oeil gauche. Malgré tout, il n’était guère facile de lui donner un âge même si il donnait l’impression d’une certaine jeunesse. Peut être utilisait-il des drogues Juvenat ? Ca n’était pas une possibilité à exclure, loin de là. Enveloppé dans de larges robes de tissus précieux, il n’était pas possible de se faire une idée de sa taille ou de sa corpulence. En tous cas, l’homme s’affairait dans une montagne de dossiers et de documents, relevant à peine la tête pour réfléchir quelques instants. Ce fut sans même un regard qu’il leur ordonna de s’assoire.

Au bout de quelques nouvelles minutes de silence méprisant, l’Inquisiteur releva enfin la tête et daigna leur accorder son attention.

-Je suis l’Inquisiteur Otto Von Didakt. Avez-vous déjà fait connaissance ?

Ses deux invités répondirent par la négative.

-Tant pis pour vous, reprit-il. Ca n’est pas à moi de le faire. Je vous ai choisi l’un comme l’autre pour constituer une cellule à mon service. N’oubliez jamais que sans moi, vous n’êtes rien, et que mon sceau inquisitorial me donne droit de vie et de mort sur vous.

Il les scruta de ses yeux bruns mais durs sans rien ajouter de plus. Mal à l’aise, ses interlocuteurs restèrent cois et évitèrent autant qu’ils le pouvaient de croiser son regard. Après une longue, très longue minute, Von Didakt entra dans le vif sujet.

-Connaissez vous la colonie 228 ? Non ? C’est bien dommage, parce que la mission que j’ai l’intention de vous confier va vous y envoyer tout droit. Comme sur tout monde impérial, la planète est agitée de troubles, d’ordinaire sans importance.  Il s’avère que sur 228, ces troubles ont connus une expansion qui m’inquiète quelque peu, et je ne suis pas le seul à penser ainsi. C’est pourquoi je vous envoie là-bas. Votre mission consiste avant toute chose en recherches de renseignements. Je veux savoir ce qui est la cause de cette augmentation, et qui sont les principaux agitateurs. Si, et seulement si, vous le pouvez, mettez hors de nuire ces responsables. Ne le faites qu’en cas de nécessité absolue, si les choses dégénèrent. Je n’ai personne de compétent et de disponible à mettre sur cette affaire, c’est pourquoi j’ai été obligé de vous recruter, vous. N’oubliez pas que votre objectif est le renseignement, et pas autre chose en premier lieu. Suis-je bien clair ?

Toujours sous l’effet de la crainte, les deux nouveaux acolytes acquiescèrent en silence.

-Vous pouvez aller chercher votre solde au guichet E459z mais ne comptez pas sur moi pour vous dire où il est, débrouillez tout seuls. Je ne suis pas là pour vous maternez. Empruntez également le mode de transport que vous trouverez, mais je vous veux là bas le plus rapidement possible. Des questions ?

Le Technoprêtre fit signe qu’il en avait effectivement une.

-Tant pis pour vous. Je ne suis pas là pour vous maternez, je vous l’ai déjà dit. Maintenez hors d’ici, j’ai du travail ! Je ne vous raccompagne pas, vous connaissez le chemin.

Et, sans guère de ménagement, l’adepte les pria de laisser seul leur maître au plus vite.

 

La porte du bureau de l’Inquisiteur Von Didakt se referma sur eux dans un bruit sourd.

L’adepte du Dieu-Machine se retourna alors vers sa compagne de galère, et articula à travers son respirateur, d’une voix au ton métallique :

-Cassant, ce type, hm ?

 

-MFT-

 

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