Le ciel qui depuis quelques heures s'était assombri se déchira soudain dans le fracas du tonnerre. Une pluie drue se mit à se déverser des cieux. L'eau ruisselait dans les cratères, ravinait les sols épuisés, s'insinuait dans toutes les failles, fissures et traces d'impacts, des murs comme des armures. Les éclairs illuminaient fugacement d'une lumière intense le décor d'apocalypse, puis les ténèbres aussitôt se refermaient sur la centrale de Kadillus Harbour. Certains incendies déclinèrent voire s'éteignirent, tandis que d'autres continuaient de consumer tout ce qu'ils pouvaient trouver pour alimenter leur appétit.
-Si même le temps se met de la partie...
Gabriel ne distinguait plus de ses frères que les pupilles purpurines qui brillaient dans la pénombre. Un rideau de pluie d'une densité incroyable se déversait sur leurs positions. On ne voyait pas à dix mètres. S'il y avait eu encore un espoir de briser l'assaut ork, il s'étiolait à présent à mesure que la pluie le diluait. Belial apparut, sa bure détrempée rendue plus lourde encore par la pluie collant à son armure, soulignant le moindre de ses mouvements.
-Ma décision est prise. Nous allons nous replier et abandonner ces positions.
Gabriel n'en revint pas. Belial avait-il enfin entendu la voix de la raison ?
-Faites dire aux hommes de se replier sur le bloc de contrôle, ajouta-t-il. C'est lui qui commande toute l'usine, c'est l'objectif le plus vital. Tout le reste n'est que secondaire. Nous tiendrons là, et les peaux-vertes n'y pourront rien.
Le jeune Champion se mordit la langue pour ne pas jurer. Il était terrible de voir son chef bien-aimé terrassé par la passion et aveuglé par l'orgueil. Un chef pour lequel l'estime était forte mais qui peu à peu disparaissait, comme si la pluie, en plus de laver toute trace d'espoir, délavait l'image qu'il avait de lui. Mais c'était son maître, et s'il pouvait prendre des dispositions par derrière lui, il ne lui était pas possible de strictement désobéir. Il fit comme tous ses compagnons : il acquiesça.
Avec discipline, les Dark Angels retraitèrent vers le haut bâtiment bastionné. Les systèmes automatisés de défense n'étaient plus fonctionnels depuis longtemps, non pas parce qu'endommagés par les Orks mais plutôt par négligence coupable de l'alliance pétrolière qui exploitait ce site et par celle des autorités impériales qui avaient abandonné toute velléité de contrôle à ce sujet depuis bien longtemps. Néanmoins il restait quelques armes lourdes, quelques bunkers et positions de tir, et les Techmarines avaient déployé une demie-douzaine de systèmes Tarentules. Mais au fond de lui, Gabriel savait que cela ne suffirait pas à arrêter l'assaut massif des Orks qui était à présent imminent. Sur les cent-trente-cinq Marines qui avaient débarqués une semaine plus tôt, il n'en restait pas plus d'une grosse soixantaine, tous promis à un suicide collectif.
-Entre nous, j'espérais ne jamais avoir à me replier jusqu'ici, dit Belial en aparté à Gabriel. Mais le temps ne nous laisse pas le choix.
Gabriel soupira mais ne dit rien. Que pouvait-il dire ? Qu'y avait-il même à dire ? Rien en fait, Belial était décidé à mourir ici, et s'enfermait toujours plus avant dans sa folie.
-Même les pilotes de nos Rhinos monteront en première ligne. Ils ne seront pas de trop pour cette tâche. Nos véhicules sont de toutes façons à l'abri à trois cent mètres d'ici, bien dissimulés, ils ne risquent rien.
Belial sourit, posa amicalement sa main sur l'épaule de Gabriel puis le laissa pour superviser les derniers préparatifs de la défense. Si même les pilotes de Rhino montaient en premier ligne, se dit-il, il ne resterait définitivement plus personne pour raconter la mort sublimement héroïque et totalement inutile des derniers frères de la Troisième Compagnie... Un grondement sourd, plus rocailleux que le tonnerre et plus sourd encore que l'écho de la pluie qui tombait à verse, perça bientôt le brouillard sonore de l'orage. Les Orks arrivaient. C'était le bruit de centaines de moteurs qui résonnaient ainsi. Toute la vague verte, dans l'immensité de sa force et de sa masse, qui se mettait en mouvement. Ce grondement était comme celui du ressac, du ressac d'une mer de peaux-vertes aux visages bestiaux et aux yeux vicieux.
*
**
La situation était totalement désespérée, si même elle avait pu être autre chose que totalement désespérée dans les derniers jours... Les Dark Angels, retranchés dans le poste de contrôle, déversaient toujours un feu meurtrier quoique parfaitement contrôlé sur les assaillants orks. Ces derniers ne se souciaient guère des pertes. Manifestement, Gazzkhull n'avait qu'une idée en tête : écraser les défenseurs sous le nombre, quel qu'en soit le prix à payer, pourvu qu'il y ait encore et encore bataille. Cela avait l'air de l'amuser, il ne prenait même plus la précaution d'envoyer quelques obus sur le dernier carré des Space Marines.
Engoncé dans son armure lourde, Belial dirigeait la défense d'une main de fer, sûre et efficace, mais pour combien de temps encore ? Il tirait de ses deux armes de poing tout à la fois, chaque tir faisait mouche, qu'il visa la même cible ou deux Orks en même temps. Lorsque ces derniers étaient trop près, il menait la contre-attaque en hurlant le cri de guerre du Chapitre. Il était magnifique, une incarnation des dieux de la guerre que Gabriel avait croisé au détour de ses lectures sur l'antique Terra. Mais les Dark Angels savaient que la dernière vague de la marée verte serait la bonne. Les Devastator des escouades Heman et Scalprum n'avaient plus de munitions. La petite quarantaine de derniers frères ne pouvaient plus guère compter sur deux ou trois chargeurs par armes. C'était la fin, définitivement la fin. La pluie ne cessait pas de tomber, ruisselant le long des parois, chutant en colonnes de gouttelettes par maints trous dans le toit du bâtiment. Un beuglement profond vint de l'extérieur, plus profond encore que celui des précédents assauts, mais rugi par une seule gorge. Le beuglement sauvage d'une bête plus terrifiante encore que toutes les autres réunies : Gazkhull. Gazkhull, le Fléau d'Armageddon, montait en ligne. Le cri de guerre fut repris par plusieurs centaines de voix rocailleuses. Des chocs sourds retentirent, un gigantesque martèlement accompagna enfin la charge des orks. Les peaux-vertes arrivaient.
-Feu, ordonna simplement Belial.
Les salves fauchèrent un premier rang, puis un deuxième, puis un troisième rang. Le quatrième rang s'effondra alors qu'il enjambait les barricades et obstacles, et le cinquième arriva au contact. Belial laissa pendre son pistolet-Bolter à son côté, se saisit de son arme énergétique, et se lança dans la mêlée à corps perdu. Ses quatre compagnons le suivirent en hurlant. Derrière eux, tous les Dark Angels de la seconde ligne se ruèrent à l'unisson pour repousser l'assaillant. La mêlée devint indescriptible. Des langues de feu couraient dans toutes les directions tandis que les lance-flammes des uns ou des autres entraient en action à bout portant. Des éclairs, des cris, des coups vicieux s'échangeaient si vite que l'entendement surhumain d'un Astartes ne pouvait les percevoir tous. Dans la mêlée, une forme massive se détacha des autres.
-Gazkhull ! À moi vous autres, finissons-en ! C'est notre dernière chance ! hurla Belial.
-En avant, protégez le Grand Maître ! cria Gabriel.
Et il se lança derrière lui.
Il tailla son chemin à gauche de son chef bien-aimé, réduisant en pièces tout Ork assez intrépide pour tenter d'entraver son chemin. Gazkhull lui-même s'ouvrit un boulevard à la force des bras, pulvérisant amis comme ennemis pour enfin atteindre Belial. Ils gravirent tous deux une plateforme de chargement par un bord opposé, et se jetèrent aussitôt l'un sur l'autre comme deux pugilistes sur un ring. L'épée de Belial rencontra l'énorme pince du Seigneur de guerre dans une éruption d'étincelles. Ils échangèrent quelques coups rapides, attaquant tour à tour puis rompirent le contact quelques instants. En contrebas de leur tribune, le carnage était toujours intense. Les Dark Angels faisaient montre d'une ténacité incroyable et l'énergie dont ils faisaient preuve prélevait un lourd tribut aux Orks. Mais chaque perte était irremplaçable et bientôt les vingt-cinq derniers survivants furent acculés, coupés de leur commandant que pas un d'entre eux ne pouvait l'aider. Du reste, les peaux-vertes non plus ne paraissaient vouloir interrompre le duel. Hostilius avait perdu un bras, mais continuait à se battre armé de sa seule épée tronçonneuse. Son sang noir maculait sa bure blanche sinistrement, mais l'adrénaline, les drogues de combat et surtout sa volonté le maintenait dans un état de combativité tel qu'on pouvait se demander si ce bras-là n'avait jamais été en trop chez lui ou à quoi il avait bien pu lui servir jusqu'à présent... Atars quant à lui était au plus mal, une plaie béante ouverte à travers l'aigle pectoral de son armure, mais il continuait de brandir la bannière de la Troisième compagnie à bout de bras et d'insuffler son énergie aux survivants.
Sur la plateforme isolée, le duel avait repris. Belial mettait une pression énorme sur Gazkhull en attaquant à la vitesse de l'éclair, déployant tout son immense talent martial afin de créer une brèche dans la défense du Boss. À travers le rideau de pluie, on ne voyait plus à dix mètres. Les Orks avaient stoppé leur progression vingt mètre devant les lignes de la Troisième compagnie, car, sévèrement étrillés, eux aussi devaient pansés des blessures qu'ils n'attendaient pas si profondes. Il n'y aurait plus de pause à présent. Un grésillement dans l'oreille de Gabriel attira son attention sur le canal de commandement. Il ouvrit la fréquence.
-Ici Thunderhawk Zealous Guardian à Maître Belial. Répondez, à vous.
Gabriel n'hésita pas un instant et répondit avec urgence à cet appel inespéré : des renforts !
-Maître Belial est indisponible. Ici Frère Gabriel. Besoin d'assistance urgente sur Kadillus Harbour, point Gamma Quatre, coordonnées trois-trois-zéro, deux-quatre-un. Au moins cent-trente Orks devant, nous ne pourrons plus leur résister. Balayez les d'Est en Ouest.
-Reçu, Frère Gabriel, mais la pluie ne nous facilite pas la tâche. Besoin de marquages. Serons sur positions dans trois minutes. Terminé.
-Gloire au Lion. Terminé.
Gabriel se retourna vers les Dark Angels qui se trouvaient derrière lui, scrutant attentivement le brouillard de grosses gouttes qui les séparaient des Orks. Là-bas, sur la plateforme, le duel à mort continuait sans relâche, et sans qu'aucun des deux adversaires ne prenne l'avantage sur l'autre.
-Les renforts arrivent ! Un Thunderhawk va faire une passe de mitraillage sur les Orks, mais pour ça il a besoin que nous lui marquions la cible. Il me faut un volontaire.
Il n'avait pas achevé sa phrase que se dégagea des rangs un Dark Angel de l'escouade Azraeth.
-Il me reste deux grenades flash : je pense qu'elles pourraient convenir à la tâche.
Gabriel regarda le Dark Angel. Tous deux savaient que c'était une mission sans retour : il faudrait couvrir une vingtaine de mètres à découvert sous le feu nourri des Orks, lesquels étaient notoirement aussi mauvais tireurs qu'ils avaient la gâchette facile. C'était un Astartes, c'était un Dark Angel, pour lui le sacrifice faisait autant sens que le devoir, pas plus, pas moins. Gabriel n'avait demandé un volontaire que parce qu'il n'existait pas d'autres mots pour cela. Ils se regardèrent chacun droit dans les yeux, ou plutôt dans les scanners. Pour l'honorer d'un regard franc et direct, Gabriel enleva son casque. L'autre fit de même, son visage apparut dans un sifflement d'air comprimé et un mince nuage de vapeur. Il était jeune, ses traits réguliers entaillés sur toute la longueur à droite de trois profondes cicatrices parallèles. Une fine brosse brune couvrait le sommet de son crâne. Ses yeux étaient du même vert profond que son armure. Il affichait un sourire tranquille, apaisé. Gabriel ne se souvenait pas l'avoir vu jusqu'ici, pourtant il croyait connaître tous les membres de sa Compagnie. Or il n'appartenait pas à une escouade Devastator, il était donc censément plus âgé. A moins que...
-Quel est ton nom, Frère ?
-Je m'appelle Frère Ramiel, Frère-Champion.
-Corrige-moi si je me trompe mais tu as été fraîchement promu d'une compagnie de réserve, n'est-ce pas ?
-Vous ne vous trompez pas, Frère-Champion. C'est ma première campagne au sein de la Troisième compagnie, et il m'importe assez peu qu'elle soit la dernière si tant est que je serve l'Empereur jusqu'au bout.
-J'imagine que c'est pour ce genre d'actions que tu as été récompensé de la sorte. C'était clairement mérité. Le Chapitre vénèrera ton nom, et je prendrais soin qu'il soit inscrit sur le Livre des Héros car grâce à toi nous poursuivrons le combat.
-Merci Frère.
Gabriel détourna la tête et s'adressa au reste des défenseurs :
-Que tous ceux à qui il reste des grenades offensives les donne à notre compagnon. Dépêchez-vous.
Gabriel collecta une dizaine de grenades, rendit les autres, et avec l'aide de Ramiel entreprit de les grouper autour des deux dernières Flash qu'ils possédaient. Puis Gabriel déchira sa robe de bure et noua grossièrement ensemble les grenades. Ramiel prit les deux engins explosifs à bout de bras. Gabriel se saisit du casque du Dark Angel, puis lui dit :
-Avec ça tu as de quoi faire un beau feu d'artifice. Maintenant hâte-toi, ajouta-t-il en lui fixant le casque sur la tête dans un nouveau sifflement d'air. Le Thunderhawk sera là dans une minute vingt.
Ramiel inclina la tête pour saluer et fit face à la pluie qui n'en finissait pas de tomber. On distinguait les étincelles d'énergie qui tombaient en cascade à chaque fois que les armes des deux duellistes s'entrechoquaient, là-bas, derrière le rideau d'eau.
-Feu de couverture ! Ordonna Gabriel.
Les Bolters de ses frères rugirent. Ramiel s'élança, droit devant lui, et disparu dans les trombes d'eau. Les rafales courtes succédaient aux courtes rafales. La riposte ne se fit pas attendre. Plusieurs grosses roquettes surgirent en miaulant, décrivant pour la plupart des trajectoires ubuesques, éclatant comme des pétards ou ne détonant pas, trempées par la pluie. D'autres atteignirent toutefois leurs buts, et explosèrent contre les murs du bâtiment, projetant des éclats un peu partout. Deux frères tombèrent, Gidéon se précipita vers eux. Il les mit en sécurité. Une quarantaine de secondes après que Ramiel eut disparu, une explosion fracassa les ténèbres, et l'on distingua nettement des corps orkoïdes jetés en tous sens et d'autres qui prenaient feu, jetant la pagaille dans la masse des peaux-vertes. Le comvox grésilla à nouveau presque aussitôt :
-Ici Zealous Guardian. Explosion repérée, passe de mitraillage dans trente secondes. A vous.
-Bien reçu, répondit Gabriel. Une seconde ne va pas tarder, straffing le long de la ligne.
Et comme pour appuyer ses dires, une deuxième boule de feu s'éleva dans un bruit de tonnerre, éclairant toute le champ de bataille, révélant tous les détails.
-Attaque lancée. Écartez-vous.
-Ramiel reviens ! cria quelqu'un derrière lui.
Gabriel détourna la tête vers le terrain découvert. Environné d'un impressionnant filet de balles traçantes qui s'écrasaient un peu partout autour de lui et faisaient voler des gravas en tous sens, Ramiel courait vers eux de toute la puissance de ses puissants membres, de ses muscles mécaniques et de ses servo-moteurs. Il ne lui restait plus qu'une dizaine de mètre lorsque quatre ou cinq impacts l'atteignirent dans le dos, le jetèrent à terre face contre sol, étendu les bras en croix.
Gabriel s'élança pour le récupérer et ramener son corps à l'abri mais un cri subit l'arrêta aussitôt. Hostilius pointait son unique bras valide vers les duellistes. Belial était à terre, et Gazkhull levait sa griffe d'un air mauvais. Mais à l'instant même où il allait frapper, une vague d'explosions transformèrent les immeubles derrière lui en un amoncellement de matériaux calcinés. Le vrombissement infernal des réacteurs d'un Thunderhawk déchira le vacarme de la guerre, éclata parmi les explosions et les fit toutes taire. On entendait plus que lui. Surpris, Gazkhull releva la tête une fraction de seconde pour entr'apercevoir une forme sombre auréolée de centaines de départs de coups, mais revint aussi vite à sa proie. Il reçue la lame énergétique de celle-ci en plein thorax, et fut perforé de part en part. L'Ork hurla de douleur alors que le champ énergétique lui brûlait les organes, mais si grande était la résistance du peau-verte qu'il parvint à se saisir du poignet de Belial , à présent de nouveau debout, alors que celui-ci retirait son épée, et le lui brisa. Belial lâcha son arme mais l'Ork le tenait toujours et, le tirant violemment à lui, il lui assena un puissant coup de tête. La plaque d'Adamantium dissimulée sous la dure et rugueuse peau verte par les talents d'un Mediko à moitié dingue fracassa le casque du Dark Angel et désorienta Belial quelques instants. Ils suffirent à Gazkhull pour le faucher de son énorme griffe, et lui emporter une jambe.
Belial tomba à la renverse en laissant échapper un cri de douleur et de surprise. Horrifié, il vit son dernier instant arriver mais une tornade de Bolts passa une vingtaine de centimètres au-dessus de lui pour s'écraser sur le Boss. Il tourna la tête dans une grimace de douleur et aperçut au travers des lentilles fendillées et inopérantes de son casque ses derniers hommes courir à sa rescousse. Leur nombre squelettique le laissa perplexe. Il comprit soudain qu'il avait commis une erreur. Une terrible, une atroce erreur. Il poussa un autre hurlement de douleur lorsqu'il sentit son bras gauche se faire arracher. La douleur le submergea malgré l'action des drogues. Prenant appui sur son bras valide, il glissa sur le dos et reçu son propre bras tout armé de céramite en plein visage. Le choc fut si fort que Belial sombra dans l'inconscience tandis que Gazkhull détalait en glapissant de dépit.
*
**
Menés par Gabriel, les survivants de la Troisième compagnie chargèrent en criant leurs cris de guerre à s'en fendre leurs poumons améliorés. Et l'improbable se produisit. Gazkhull, une profonde blessure ouverte dans la poitrine, battit en retraite tout en se protégeant du feu nourri des armes montées sur son exo-squelette. Balayés par la passe du Thunderhawk, ses Boyz retranchés dans les ruines se contentèrent de couvrir leur chef d'un tir puissant mais imprécis, sans grandes conséquences pour les Dark Angels. Gidéon n'avait pas achevé son rapide diagnostique que déjà plusieurs Space Marines soulevaient leur chef bien-aimé et le portèrent en lieu sûr, emportant avec eux ses débris ignobles. Un grésillement signala une communication entrante au Champion de compagnie :
-Ici Zealous Guardian. Attendons vos ordres, sommes prêts pour une seconde passe.
-Ici Gabriel. N'en faites rien Zealous Guardian, cherchez-vous plutôt un site d'atterrissage le moins éloigné possible d'ici. Maître Belial est gravement blessé et doit être soigné aussi vite que possible.
-Reçu. Zealous Guardian, terminé.
Les Dark Angels regagnèrent au pas de course l'abri du bâtiment de contrôle qu'ils tenaient toujours. Gabriel rejoignit son poste de guet, en léger surplomb par rapport à ses frères. Il se hissa, se tourna vers eux, et s'adressa à la petite assemblée qui comptait à peine vingt guerriers :
-Frères ! Malgré notre vaillance, Kadillus Harbour est tombé. Nous devons à présent porter Maître Belial en lieu sûr puis consolider une position sur la chaîne de Koth, afin de couper les renforts orks de ces éléments-ci, le temps pour nous que le reste du Chapitre arrive et que la Milice libre ait achevé sa mobilisation. Pilotes, à vos véhicules, et que tous soient pourvus, nous embarquerons dans les Rhinos Un à Cinq placés au centre et les autres fourniront une couverture à l'ensemble. Exécution immédiate. Les Orks vont revenir.
Une détonation sourde et mauvaise confirma le discours de Gabriel. Elle fut suivie par plusieurs autres et plusieurs obus de très gros calibre s'écrasèrent aux environs. Les Dark Angels coururent à leurs Rhinos, situés deux cent mètres plus loin. Gabriel les observa quelques instants, tandis que le pilonnage des Orks se faisait plus précis. Des cratères massifs s'ouvraient à mesure que les obus tombaient, faisant pleuvoir des trombes de débris alentours. Soudain, l'équipage du Thunderhawk lui transmit les coordonnées du site sur lequel il avait atterri, que relaya aussitôt Gabriel. Atars s'approcha de lui, la bannière de la Compagnie reposant sur son épaulière, enroulée. Le Dark Angel possédait une belle armure, ornée simplement mais très justement, qu'une large balafre en travers du thorax défigurait. Ses lauriers impériaux à l'or impérissable magnifiaient son épaulière droite malgré les nombreuses coupures, éraflures et entailles plus ou moins profondes.
-Nous appliquons donc le plan comme prévu, fit-il sur le canal privé.
-C'est cela. Nous allons piéger les Orks ici et faire sauter cette centrale maudite sur leurs damnées têtes vertes. Tu as la commande des explosifs ?
-Elle est ici, ne t'en fais pas, répondit Atars en désignant une des poches fixées à sa ceinture. Notre véhicule nous attend à deux cent mètres à l'est, le long de ce bâtiment, là-bas.
Gabriel jeta un oeil dans la direction que lui indiquait Atars et acquiesça, puis détourna la tête et regarda Hostilius, qui guettait comme eux l'arrivée imminente des Orks. Gidéon avait embarqué dans un transport avec Maître Belial afin de lui prodiguer le maximum de soins possibles avec le peu qu'il lui restait de moyens. Un sinistre bruit de chenille perça l'écho sourd de la pluie et les détonations des obus.
-Les Orks nous ramènent des genres de canons automoteurs on dirait ! signala ce dernier.
Atars comme Gabriel se saisirent une épaule et se serrèrent brièvement l'un contre l'autre, comme le font ceux qui vont mourir dans la fraternité. La fréquence des détonations redoubla, mais elles ne pouvaient guère toucher trois cibles isolées comme eux. Enfin, le tant attendu rugissement bestial des peaux-vertes gronda et une cinquantaine d'Orks se ruèrent hors des ruines qu'ils tenaient pour donner l'assaut au bâtiment. Surpris de ne pas être accueillis par une salve de bolts, leur progression ralentit un instant mais cet instant passa aussi rapidement qu'il était survenu et ils reprirent leur course de plus belle. Avec des beuglements ils escaladèrent les décombres et investirent les ruines. Ils firent quelques pas, mais furent soudain fauchés par des tirs précis venus de nulle part. Les Orks répliquèrent, au hasard, mais ne touchèrent que des ombres. Le pilonnage continuait, et avançait en un feu roulant mais imprécis. Un obus explosa parmi les peaux-vertes. C'était ce que Gabriel attendait pour lancer sa charge.
Le Champion expédia un bolt en pleine tête à un Ork, puis deux autres à un deuxième qui les reçut dans le ventre, répandant des viscères éclatées sur tout le sol. Il perfora de son épée un troisième mais la masse des autres réagit finalement, et se jetèrent sur lui. Il para une attaque de sa lame, détourna une hache grossière par son bouclier mais ne put empêcher une lourde épée tronçonneuse de lui ouvrir une profonde blessure à l'épaule. Il explosa de son dernier bolt le bras de son agresseur, qui le relevait pour frapper à nouveau, puis plongea entre deux peaux-vertes qui s'écharpèrent mutuellement de leurs kikoups. Il se mit à courir, laissant pendre son pistolet-Bolter au bout de la corde qui le retenait pour éviter qu'il ne le perde, et couvrit de sa main sa blessure. Plusieurs Orks le poursuivirent, mais après quelques détours ils furent abattus dans le dos par Atars, posté en surplomb. Les Orks étaient à présent réunis jusqu'au dernier dans le bâtiment, il était temps de le faire exploser et tout le complexe avec lui. Gabriel se retourna vers Atars, et lui fit un signe de tête. Le Bolter d'Hostilius claquait à mesure qu'il crachait ses rafales sur les assaillants pour les obliger à rester à couvert. Les obus continuaient à tomber tout autour d'eux. Gabriel aperçut du mouvement à droite. Il se précipita et jaillit au milieu d'une demie-douzaine d'Orks qui cherchait à les prendre à revers. Il en perça un de son épée, qu'il maniait maintenant de sa main gauche et en décapita un second lorsque derrière lui Atars cria :
-Gabriel ! Ca ne fonctionne pas !
Gabriel dans la seconde fit un pas de côté tout en détournant vivement la tête vers Atars. Il vit que ce dernier appuyait frénétiquement, compulsivement, sur le détonateur, mais sans effet. Atars, toujours concentré sur le détonateur, lui lança :
-Quelque chose a...
Mais il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Un obus le pulvérisa et ne laissa à sa place qu'un cratère fumant. Tout se passa ensuite en un éclair. Gabriel rompit le contact et courut vers celui-ci, poursuivit par les Orks. Une forme massive s'écrasa à quelques mètres sur sa gauche, comme tombée du mur. Elle se redressa sur son unique coude, et Gabriel devina Frère Hostilius. Il lui sembla qu'il tournait la tête vers lui quand dans ses écouteurs grésilla une voix faible : « je suis... désolé ». Gabriel n'eut pas le temps d'en savoir plus, ni d'en entendre d'avantage. Une forte lame rouillée et ensanglantée lui emporta le casque et le secoua quelque peu. Il eu la présence d'esprit de se casser en deux pour esquiver un second coup, puis trancha le bras de son agresseur avec son épée énergétique. Un Ork de grande taille, sans doute un nob, sauta du haut du mur sur Hostilius qui tentait de se relever, lui défonça le plastron sous son poids et l'écrasa de toute sa masse. Hostilius lâcha un râle, mais ce dernier s'acheva subitement quand le nob le décapita de son massif kikoup et brandit la tête en guise de trophée.
Gabriel, lui, courait pour sa survie, la rage au ventre et au coeur, la rage de la défaite et de l'humiliation. Il était talonné par une dizaine d'Orks, mais sa course slalomait entre les débris et les obstacles afin de dérégler totalement leur tir. Il aperçut du coin de l'oeil la bannière calcinée de la Troisième compagnie, bifurqua à droite, s'en saisit, et sauta par dessus un épais tuyau d'arrivée de carburant. Il lâcha un cri de surprise lorsqu'au lieu de rencontrer le sol ses pieds plongèrent dans le vide. Il roula le long d'une pente de gravas dans un faible nuage de poussière et se reçut tant bien que mal au sol dans une épaisse boue de pluie, de poussière et de gravas conglomérée. Dans un crissement de chenille, un Rhino dérapa à quelques mètres de lui, et abaissa sa rampe arrière. L'artilleur lâcha une tornade de bolts qui accueillit les Orks apparaissant au sommet de l'édifice, et plusieurs d'entre eux dégringolèrent au bas du mur, fauchés par les ogives autopropulsées.
-Monte, Frère, dépêche-toi ! hurla l'artilleur tout en lâchant encore une rafale de fulgurant vers le toit.
Gabriel récupéra son épée, qu'il avait lâché dans sa chute, ainsi que ce qui restait de la bannière de la Troisième compagnie, et effaça les derniers mètres qui le séparait de l'asile. Il s'engouffra dans le compartiment blindé du véhicule, et avant même qu'il n'ait appuyé sur le bouton le Rhino démarra dans un panache de fumée noire crachée par ses quatre tuyères d'échappement et le cliquetis de ses chenilles. Dans la sécurité du transport, Gabriel déroula sur le sol l'épaisse étoffe qu'il avait recueilli. L'adrénaline tombait, et son épaule lui faisait un mal de chien. Il inspecta rapidement sa blessure, mais ne put voire grand chose étant donné l'angle, si ce n'est que sa céramite était largement fendue et déchiquetée.
« Gideon va avoir du travail », pensa-t-il.
Il contempla ce qu'il restait de l'étendard. L'étoffe avait beaucoup plus souffert que lui. Elle était détruite aux trois quarts de sa longueur. Des traces brunes marquaient ses bords calcinées. Des trous de tailles diverses constellaient ce qui avait survécu de la bannière. Comme toujours, elle rendait hommage à la compagnie, elle était son image, son symbole. Et la Compagnie était à son image : réduite à moins du quart de ses effectifs, quasiment hors d'utilité, en piètre état pour les survivants d'un sacrifice totalement inutile. Un goût amer macérait au fond de la gorge du Champion de ce qui avait été autrefois une Compagnie de combat, la plus fière de tout le Chapitre des Dark Angels. Il allait falloir venger cet affront. Tous ces morts seraient vengés. Il ôta son casque de sa main valide, se redressa de toute sa stature et tendit son bras blessé au dessus de l'étendard meurtri dans une grimace de douleur, puis déclara d'une voix ferme et profonde, rugueuse et rageuse :
-Je jure que nous ajouterons le nom de Piscina au bas de cette bannière lorsqu'elle aura été reconstituée.
-MFT-