-Rhaimer vient d'ordonner le désengagement à ses groupes d'assaut !
Les mots explosèrent comme des obus dans les oreilles de Gabriel. Son pressentiment était le bon, et ce qu'il craignait qu'il put arriver de pire était advenu. Les Black Templars avaient trouvé Cypher, ou plus précisément Cypher s'était jeté dans leurs bras. C'était terrible. Un très court instant, Gabriel resta immobile, comme frappé par une attaque invisible, tout soudain pétrifié. C'était terrible : le pire ennemi du Chapitre était dans les mains d'autres agents de l'Imperium. Il fallait le récupérer coûte que coûte.
-A tous : code rouge, code rouge, désengagement immédiat et repli sur les transports. Exécution. Dies Irae, relayez cet ordre en boucle sur nos fréquences, utilisez le cryptage Bêta-8.
-L'ennemi revient à la charge, Monseigneur !
Une de ses sentinelles ouvrit le feu depuis sa position surplombante pour retarder quelques instants les assaillants et donner quelques secondes supplémentaires aux défenseurs. Peine perdue, les extraterrestres semblaient devenus fous, et se ruaient comme des déments vers les lignes vertes des Dark Angels.
-Décrochez par escouades et couvrez-vous les uns les autres, schéma Grad-2. Allez-y Clostermann, l'escouade Bethor et moi-même resterons jusqu'au dernier.
Sans mots dire, les dix Dark Angels quittèrent la ligne et coururent chercher l'abri d'une barricade qui coupait le couloir en deux, et s'établirent fermement sur leur nouvelle position. Aussitôt une deuxième escouade rompit les rangs et se replia jusqu'au carrefour suivant, afin de sécuriser la voie de repli. Les détonations des bolters emplirent d'échos la salle dans laquelle les Dark Angels avaient établi leur ligne de défense lorsque les premiers Xenos apparurent dans l'encadrement des portes ou des fenêtres. Le sang et les viscères éclatées se répandirent au sol et sur les murs à mesure que les bolts trouvaient leurs cibles, mais les vagues suivantes enjambèrent les premières. Cette attitude était nouvelle, jamais Gabriel ne les avait vu agir de cette façon. Bientôt, ils furent au contact, attaquant avec des armes improvisées comme de simples bouts de bois les Astartes en armures. Le combat ne pouvait être qu'à sens unique, mais il retardait le décrochage. Très vite, le Grand Maître comprit qu'il s'agissait d'une nouvelle fourberie de Cypher, qui sacrifiait ses pions en les envoyant à l'abattoir pour empêtrer encore plus avant les Dark Angels. Aussitôt, Gabriel ordonna à toutes ses unités de rompre le contact, ne restèrent alors plus que ses cinq compagnons et lui-même.
Ils se battirent comme des lions, retraitant pied à pied pour éviter de perdre le contact avec le reste de leurs hommes et de se retrouver isolés. Bientôt, les bolters de Clostermann aboyèrent à nouveau et dégagèrent les six combattants. Ils se mirent alors à courir, bien couverts par les rafales dévastatrices. Ils passèrent en trombe au travers de plusieurs couloirs, ses hommes se repliant sur les talons de leur chef. Des décharges d'énergie striaient les airs, de plus en plus nombreuses, sifflant derrière eux et frappant les murs ou parfois les hommes. Les pertes creusèrent peu à peu les rangs, bien que lorsque c'était possible, un Frère aidait l'autre à se relever et l'entraînait avec lui.
Les Dark Angels parcoururent ainsi en sens inverse les couloirs qu'ils avaient si difficilement conquis, bien couverts par les tirs de leurs Frères. La discipline des Fils de Jonson animait toute la mécanique qui fonctionnait à plein, comme une machine aux rouages bien huilés. Chaque Frère savait parfaitement ce qu'il avait à faire, et les escouades adaptaient leurs schémas tactiques à l'environnement et aux circonstances sans difficulté, avec une maîtrise parfaite et implacable. Ouvrant le feu pour quelques courtes rafales, les Dark Angels abattaient avec précision les ennemis les plus acharnés et balayaient leurs poursuivants, puis décrochaient graduellement afin que chaque escouade à tour de rôle battit de son tir les couloirs et les salles tandis que les autres consolidaient leur position de cinquante mètres en cinquante mètres. Ainsi, le repli s'effectuait à une vitesse impressionnante, sans perdre ni temps ni efficacité.
Gabriel, tandis qu'il courait à la tête de ses hommes, admirait avec respect et satisfaction la manoeuvre de ses unités. Il en était particulièrement fier, et veillerait à les récompenser comme il se devrait ses escouades lorsque tout cela serait achevé et qu'il aurait récupéré Cypher. Menant la pointe de l'épée, Gabriel et son escouade de commandement emportaient tout sur leur passage, quelques soient les obstacles que dressaient les Xenos pour les intercepter. Il culbuta les barricades, renversaient les extraterrestres, taillait et tranchait à tour de bras. Ses robes étaient maculées du sang bleu des Xenos, il n'était que furie guerrière au travers du carnage. Il déboucha finalement dans l'un des grands jardins qu'ils avaient traversé à l'aller. Des chants martiaux et gutturaux prononcés dans une langue inconnue flottaient dans les airs, des cris de guerre aigus jaillissaient de plusieurs endroits différents sans qu'il soit possible d'identifier où. Gabriel jaugea le terrain découvert, et jugea plus prudent d'ordonner une pause à ses hommes, afin qu'ils se mettent en position pour battre de leur feu le plus large champ. Ses escouades prirent l'abri qu'elles purent trouver, se gardant de face comme de dos, et certains Astartes poussèrent rapidement des reconnaissances afin de localiser l'ennemi ou de possibles points d'entrée cachés. Cependant, Gabriel avait autre chose en tête. Il prit contact avec le Dies Irae. Lorsque ce dernier fut établi et que la voix de Frère Gamélion résonna dans son casque, il lui demanda aussitôt la situation de Rhaimer.
-Dies Irae à Gabriel. Il aura atteint dans cinq minutes la porte principale et ses propres véhicules. Il ne semble pas avoir rencontré de résistances durant son retrait.
-Gabriel à Dies Irae. Bien reçu. Continuez à espionner leurs communications. Vous localisez-nous avec précision, Gamélion ?
-Dies Irae à Gabriel. Affirmatif Monseigneur, vous avez parcouru à peine plus de la moitié du chemin. J'estime votre retard sur Rhaimer à une vingt minutes.
Gabriel soupira. Il avait calculé quelque chose de similaire, tout en priant que son estimation soit fausse ou que le Connétable ait pris du retard. Evidemment non, il n'en avait rien été.
-Gabriel à Dies Irae. Reçu. Transmettez nos coordonnées à nos Thunderhawks pour extraction. Faites savoir à Severian qu'il doit se replier avec nos chars vers la zone d'atterrissage. Et qu'il entame son repli vers la flotte au plus vite. Dites à Harridan et aux autres Techmarines qu'ils abandonnent le matériel léger de défense, nous n'aurons pas le temps de...
-Ils arrivent ! lança un des Dark Angels cent mètre sur sa gauche.
Aucune arme n'aboya pourtant. Les Dark Angels attendaient que l'ennemi se masse pour l'anéantir définitivement. Cela laissa le temps à Gabriel de terminer sa conversation.
-...de ramener tous les systèmes Tarentule. Il y a plus urgents. Gabriel, terminé.
-Dies Irae à Gabriel. Message reçu. Nous transférons immédiatement vos coordonnées à nos escadrons d'assaut. Les Thunderhawks devraient être sur zone dans cinq minutes environ. Dies Irae, terminé.
Gabriel bénit l'Empereur pour avoir créer des guerriers aussi efficaces que les Space Marines, et revint aux Xenos hostiles qui arrivaient. Ils sortaient de partout. Une vraie vague bleue. Ils ne semblaient pas déroutés le moins du monde de ne pas être accueillis par un dense feu et chargeaient en poussant des cris aigus et des sifflements. Dans les airs, des Xenos ailés armés de ces étranges armes à énergie survolaient leurs congénères par escadrons. Lorsque la vague se trouva à cinquante mètre de la double ligne Dark Angel, bien en place derrière les murets, les murs et tout ce qui pouvait les dissimuler quelque peu, la première s'illumina d'une kyrielle de départs de coups. Les flammèches et les étincelles jaillissaient des bolters à chaque fois qu'un projectile émergeait du canon, traversant en une fraction de secondes l'espace qui séparait les tireurs de leurs cibles. Il pénétrait alors profondément la chaire de cette dernière, laquelle était souvent soulevée de terre par la force de l'impact et rejetée en arrière. L'ogive détonait l'instant suivant à l'intérieur du corps et le pulvérisait, souvent avant même que l'extraterrestre ne soit retombé au sol.
La violence du tir faucha comme du blé les trois premières lignes. Le staccato bref des Bolters tissait une ode à la mort que soulignait et renforçait les longues voix de basse des Bolters lourds. La quatrième fut abattue alors qu'elle franchissait l'amoncellement de corps pêle-mêle, qui constituaient comme une barrière. Il en fut de même pour la cinquième. Sur les flancs, les Xenos tentèrent de surgir de couloirs ou de trous d'impacts pour prendre par surprise les Dark Angels, mais les reconnaissances avaient localisés ces voies d'approches et postés les moyens appropriés pour les barrer. Dans leur dos, la seconde ligne Dark Angel abattait impitoyablement les assaillants qui tentaient de les prendre à revers. La situation pouvait ainsi durer des heures, d'autant que Gabriel, prévoyant, avait fait donné à ses escouades un approvisionnement en munitions doublé. Néanmoins, la sixième vague, brisée comme les autres sur le mur de feu des Dark Angels, ne fut pas suivie d'une septième. Les extraterrestres préfèrent battre en retraite, constatant qu'ils ne parvenaient pas à progresser. Leur nombre était encore impressionnant. Gabriel savait comme eux que dans un terrain que ses ennemis connaissaient, il lui faudrait beaucoup d'efforts et de pertes pour passer à travers. Et autant de temps de perdu. Il avait néanmoins un atout décisif : les Thunderhawks. Plus que trois minutes.
Le carnage n'en avait duré que deux, mais le tableau était éloquent. Un vrai charnier. Un véritable mur de cadavres s'était constitué à cinquante mètres de la ligne Dark Angel. Les corps s'empilaient littéralement les uns sur les autres, démantibulés, explosés. Le sang et les humeurs se déversaient des viscères éclatées et ruisselait sur le sol en gros bouillon, imprégnant la terre qui ne parvenait pas à absorber ces quantités phénoménales. Un rugissement inquiétant, bestial, rauque, éclata. Le sol se mit à trembler sous les pas sourds d'un mastodonte. Lentement, un dos colossal, une tête difforme et monstrueuse, une bête d'une taille impressionnante émergea à l'horizon. Elle était toute de fourrure, marchait à quatre pattes pesamment. Elle ressemblait à une sorte de gigantesque singe de Lénanda croisé avec un ours de Siberius. La monstruosité beugla à nouveau, et se lança à l'assaut. Elle était grosse comme deux Land Raiders. Gabriel songea rapidement à replier ses hommes à l'intérieur du bâtiment, là où la bête ne pourrait les suivre, mais c'était se couper sa voie de sortie la plus courte. Non. Il fallait l'affronter, mais il semblait que face à ce monstre nouveau, saturer de tirs d'armes légères ou à fragmentation était sans doute la meilleure des choses à faire pour tuer la bête. Les Dark Angels ouvrirent le feu à cent mètres, mais l'animal ne ralentit même pas, n'hurla même pas, comme s'il ne ressentait pas la douleur. Les Botlers lourds et les missiles à fragmentation donnèrent de la voix à leur tour. La bête se rapprochait toujours, plus que vint-cinq mètres.
Soudain, les bâtiments tenus par les Xenos volèrent en éclats, anéantis par plusieurs missiles et obus d'artillerie. Les Thunderhawks !
La bête n'était plus qu'à dix mètres quand soudain un missile à fragmentation tiré de l'escouade Kandaran atteignit le monstre dans l'oeil. Il détona à l'intérieur dans une gerbe de matière organique pulvérisée. Le monstre hurla de douleur en relevant la tête et s'arrêta, portant l'une de ses pattes à son oeil.
-Frère Zephael : votre lance-flammes, maintenant ! lança Gabriel.
Le Dark Angel surgit de la ligne et courut vers le monstre, la veilleuse de son arme brillant d'un bleu mauvais. Il lâcha un premier trait de Prometheum enflammé sur la bête. La fourrure pris immédiatement feu. L'animal poussa un second hurlement de douleur, dans lequel Gabriel crut reconnaître de la détresse. Un deuxième trait de feu atteignit le monstre à la gorge. Il se mit à courir, hors de contrôle, beuglant à mort et piétinant tout autour de lui. Zephael, surpris, ne put s'écarter à temps et fut écrasé.
-Eloignez-vous des murs ! cria le Grand Maître.
Le monstre se dirigeait à présent droit vers le bâtiment. Gabriel avait déjà perçu le danger. Sa masse allait percuter avec une incroyable violence le mur déjà dans un état pitoyable, et ce dernier allait probablement s'effondrer sur ses hommes. Les Dark Angels jaillirent, en toute hâte. La bête cogna contre la façade, et le choc fut tel qu'elle tomba dans un fracas de tonnerre et l'ensevelit sous les décombres. Sans se retourner un instant, la Troisième compagnie courut jusqu'aux appareils d'assaut qui se posaient dans une tornade de poussière soulevée par leurs puissants réacteurs.
-Escouades Une à Trois, commanda Gabriel, grimpez immédiatement dans Zealous Guardian. Quatre à Six, à vous Purity of Vengeance. Sept et huit, avec moi.
A grandes enjambées, entourés des toiles de bolts traçants projetées par les bolters lourds des Thunderhawks qui traçaient autour d'eux un mur protecteur, les Frères de bataille atteignirent les rampes d'embarquement et prirent place aussi vite qu'ils le purent dans leurs alvéoles. Gabriel monta le dernier, se retourna une dernière fois vers le champ de bataille si durement conquis et déjà abandonné, et frappa plutôt qu'il n'appuya d'un geste brusque et de mauvaise humeur sur le bouton de fermeture de la porte. Les vérins hydrauliques coulissèrent tandis que la rampe d'accès remontait, environnée de jets de vapeur. Sans attendre plus longtemps, le Thunderhawk s'arracha du sol et grimpa vers les cieux.
*
**
Durant le trajet de retour, Gabriel rumina son échec, remâcha ses mots et ceux dont Severian ne manquerait de l'accabler. Il avait sans doute gravement sous-estimé Cypher, et sa capacité à retourner les situations à son profit. Le Déchu l'avait joué. Pas même la vue des étoiles, du noir froid et sobre du vide spatial, ne parvint à lui faire desserrer les dents. Il s'était fait joué, et le ressentait comme une injure grave à son honneur personnel. Et si il n'y avait que cela ! Le Chapitre risquait d'être très gravement compromis, et ce par sa faute. Il n'arrivait pas à l'admettre, tout en lui se rebellait. C'était inacceptable ! Mais face à un tel problème, il allait falloir prendre des mesures drastiques, et radicales. Quant à sa carrière, laver un tel écueil ne serait pas tâche facile.
Il quitta le poste de pilotage où il aimait se placer d'habitude. Partir à l'assaut, rentrer de mission, étaient deux aspects de la guerre qui avaient leurs charmes propres, et Gabriel ne se sentait pleinement les apprécier que lorsqu'il se trouvait là, avec les pilotes, avec l'objectif qui grossissait à grande vitesse dans la vitre blindée ou lorsqu'il rentrait une fois la mission accomplie vers le Winged Vengeance. Cette fois, ce n'était pas le cas, et cette vision ne lui apportait aucun réconfort. Il redescendit donc, laissant les pilotes seuls. La charge du commandement était bien lourde parfois. Plus jeune, lors de moments difficiles ou de missions ratées, il avait toujours reçu le soutien de ses Frères plus âgés. Cette fois-ci, c'était la première fois qu'il échouait dans la conduite de sa propre mission, et il était seul. Seul à l'assumer, ce qui était normal, mais seul aussi à devoir porter le poids de la faute, sans qu'un ami puisse venir, s'approcher de lui et l'en décharger d'une partie. Il se retourna pour faire face à ses hommes, qui s'étaient branchés sur les systèmes de recharge de la canonnière. Il n'était plus vraiment l'un des leurs. Il était leurs commandant. Le commandement est une charge difficile, songea-t-il, elle trouve son honneur dans son hypocrisie : il est impossible de donner le moindre signe de faiblesse, même quand celle-ci est évidente. Drôle de paradoxe.
Gabriel ne tenait pas en place. Il n'était bien nulle part, persécuté par ses remords. Il s'en voulait énormément d'avoir sous-estimé Cypher et il le lui avait bien fait payer. La perspective de remonter à bord et d'essuyer le feu des critiques de Severian n'était pas non plus particulièrement réjouissante. Oui, définitivement, contrairement à d'habitude, il n'était pas heureux du tout de rentrer. Il faisait les cent pas, arpentant le compartiment passager spartiate du Thunderhawk puis, énervé, il regagna le cockpit. Là, les feux du croiseur avaient encore grossis et étaient à présent étincelant. L'engin d'assaut s'en rapprochait et les feux croissaient à vue d'oeil. Quelques minutes plus tard, Gabriel distinguait les superstructures. Le Thunderhawk entama alors sa manoeuvre d'approche, et le pilote fit décrire un virage à son appareil pendant que l'artilleur prenait contact avec le contrôle du croiseur afin d'établir les derniers détails. Bientôt, la canonnière se trouva face à une baie d'appontage, qui s'était vidée de tout son personnel et de son matériel. Les boucliers se désactivèrent alors, la température chuta de manière brutale à celle du vide glacial, et le vide emplit la salle. Le Thunderhawk se posa et le chassa bien vite. Le bouclier d'énergie protectrice se rematérialisa aussitôt derrière lui.
La rampe d'assaut s'abaissa dans un torrent de vapeur d'eau, pendant que la température grimpait à nouveau sous l'effet des puissants générateurs d'énergie et de la chaleur intense qui s'échappait des tuyères du monstre d'acier. L'atmosphère revint et l'air redevint respirable. Gabriel descendit le premier et couvrit d'un pas rapide la distance qui le séparait de la porte. Celle-ci s'ouvrit en faisant coulisser ses deux battants alors qu'il n'en était plus qu'à une dizaine de mètres. Severian surgit devant lui. Son casque mortuaire n'exprimait rien de plus que son rictus morbide habituel, mais il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que derrière l'éclat des lentilles rouges sombres de son casque, ses yeux brillaient de colère.
-MFT-