Cela dura toute la nuit et jusqu'à une heure avancée du jour. Les Dark Angels tinrent bon, malgré la fureur croissante des assauts orks. Ils repoussaient vague après vague que Gazkhull et Nazdreg leur envoyaient. On ne parvenait plus à voir le sol de cendre de Piscina tant celui-ci était encombré des carcasses des peaux-vertes ou de leurs véhicules. Le spectacle du coucher de soleil de la veille était déjà suffisamment éloquent en terme de carnage, mais il n'avait plus aucune commune mesure avec celui qui s'offrait au zénith du lendemain. Et les choses n'avaient fait qu'empirer durant l'après-midi. Les orks se jetaient sur eux toujours plus nombreux, mais ce n'était pas encore assez pour faire plier les Fils du Lion.
Gabriel but un rasade d'eau à la bouteille purifiante que lui tendait Gidéon. Ses bras lui faisaient mal d'avoir tant frappé, les réservoirs de dogues de combat de son armure étaient épuisés et ceux de Gidéon également. C'était en vérité toute la Compagnie qui était épuisée : les hommes étaient épuisés ; les rangs étaient épuisés ; les réserves étaient épuisées.
Gabriel et toute l'escouade de Bélial suivaient le Grand Maître tandis qu'il passait auprès de chacune des positions, auprès de chacun des hommes, prodiguer des encouragements et des paroles promptes à maintenir le moral des hommes. Frère Atars tenait haut la bannière de l'unité, et ranimait la rage de tuer et de vaincre des hommes. C'était à eux de le faire à présent puisqu'ils avaient porté en terre le fier Chapelain Abraxas deux heures plus tôt.
Au moment le plus critique, Abraxas s'était tenu seul au milieu de la brèche qu'avait ouverte la disparition de la quatrième escouade, submergée par la vague verte. En parangon des valeurs du Chapitre, il avait tenu bon, là, frappant en tous sens, massacrant par chapelets les orks qui se massaient autour de lui. C'était l'incarnation de la mort qui se dressait parmi les trépassés. Au moment le plus critique, il était là, semant la destruction parmi les peaux-vertes comme jamais un héros du Chapitre ne l'avait fait. Malgré les innombrables blessures que l'on découvrit sur lui, il ne recula pas et continua d'écrire le récit qui lui serait consacré dans le Grand livre de la confrérie des Anges de la mort. Abraxas vécut assez pour qu'une contre-attaque menée par Bélial lui-même le dégage et mette en fuite les xenos. Il vécut encore assez pour qu'on lui retire son casque et qu'il bénit le Chapitre de lui avoir permit de servir l'Empereur de cette façon, et assez encore pour remercier l'Empereur de lui avoir permit de quitter la vie ainsi, et de rejoindre sa droite au sommet de sa gloire. Puis il s'éteignit, laissant s'échapper son dernier souffle.
Gabriel n'avait jamais vu un Astartes pleurer, il n'aurait jamais cru possible qu'un Dark Angel puisse verser des larmes. Mais la vue de ses plus vieux compagnons se prendre le visage dans les mains ou bénir une dernière fois le vieux mentor lui fendit le coeur et la tristesse s'y engouffra. Bélial lui-même tenta de se composer un masque stoïque mais n'y parvint guère et Gabriel décela dans ses yeux le même reflet luisant qui brouillait sa propre vue. Il vit certain de ses frères défoncer à coup de crosse ou à main nue les visages brutaux des peaux-vertes qui jonchaient le sol autour de la dépouille du Chapelain. Ceux qui, pour leur infortune, vivaient encore furent torturés atrocement pour venger la mort du Chapelain. Leurs cadavres furent empalés sur les pièges antichar qui défendaient la centrale de Kadillus Harbour. D'autres furent pendus à tout ce qui était susceptible de s'y prêter. La fureur meurtrière des Dark Angels ne s'éteignit pas, elle ne fit que croître et à présent qu'ils inspectaient les frères de bataille, Bélial et les siens surent que la mort d'Abraxas valait mieux que toutes les paroles pour les exhorter.
Enfin les cinq hommes -Frère Raziel était mort durant le quatrième assaut- reprirent leur poste afin d'attendre la prochaine attaque. Ils s'installèrent à l'intérieur d'un abri bétonné qui protégeait l'un des générateurs. Ils s'assirent sur de gros blocs de plast-béton éparpillés dans un fatras de gravas. La centrale n'était que superficiellement endommagée, et toujours en état de marche, mais ce superficiel était déjà conséquent. L'artillerie ork avait totalement anéanti tous les bâtiments périphériques et un certain nombre d'obus s'étaient égarés plus en arrière, touchant les bâtiments vitaux sans pour autant les détruire. Ce qui était bien dommage d'ailleurs, car cela aurait permis de faire entendre raison à Bélial et de se replier dans la chaîne de Koth pour tenir en attendant les renforts.
-Je connais bien Gazkhull et Nazdreg, dit Bélial. Leur fierté est piquée au vif, et le sacrifice d'Abraxas les aura tellement mis en fureur que le prochain assaut se fera sans aucunes réserves. Les xenos vont tout mettre dans la balance pour un dernier assaut décisif, et je vous paye mon écot que les deux Boss seront de la partie. Nos hommes sont exténués, mais nous tiendrons quoi qu'il advienne. Je le répète, cet assaut sera décisif : quoiqu'il arrive ce sera le dernier. Ce jour marquera la chute de Gazkhull une bonne fois pour toute. Nous vaincrons, ils se briseront sur notre courage d'adamantine. Abraxas nous a montré l'exemple : ils ne passeront pas.
Bélial se leva. Sa volonté farouche se lisait sur son visage. Tous ses muscles étaient contractés et reflétaient sur son faciès son âme, toute tendue vers un seul objectif. Défaire le fléau d'Armageddon. Il prononça une prière à l'Empereur après avoir étendu les bras pour bénir ses compagnons, et se retira à l'écart. Ses hommes le regardèrent partir puis s'éloigner de plus en plus pour finalement disparaître de leur champ de vision.
Gabriel retira son casque et suggéra à ses équipiers d'en faire autant.
-Qu'y-a-t-il frère ? demanda Gidéon. Un problème de transmission ?
-Non, répondit Gabriel d'une voix basse. Non. Il y a que nous devons tenir un conseil privé.
-Dans le dos de maître Bélial ? Tu perds l'esprit Gabriel ? fit Frère Atars d'une voix sourde ou perçait la menace.
-C'est lui qui perd l'esprit, rétorqua Gabriel. La perte d'Abraxas nous est cruelle à tous, mais elle ne doit pas nous aveugler comme elle semble le faire pour maître Bélial !
-Comment oses-tu... siffla Hostilius en se levant, l'air menaçant.
-Réfléchissez bon sang ! éclata Gabriel en se levant à son tour. Maître Bélial parle de l'exemple d'Abraxas mais il n'en comprend rien ! Abraxas s'est sacrifié, mais il n'est pas mort en vain. Et nous ? Pourrons-nous en dire autant lorsque nos corps seront le festin des charognards et que nos têtes orneront le chariot de guerre de Gazkhull ?
-Un Dark Angel ne recule jamais, Gabriel, espèce de lâche, calomniateur, séditieux, traître ! hurla Hostilius.
Gidéon sauta sur ses pieds avec une vivacité qu'on ne lui connaissait plus, et gifla Hostilius.
-Assieds-toi, crétin ! Ordonna-t-il. Je suis le plus âgé ici, je t'ordonne de t'assoir et de la boucler à double tour ou tu auras affaire à moi.
-Si Bethor était ici, il...
-Si Bethor était ici, pauvre idiot, il dirait la même chose que moi. Je le sais, cela fait plus d'un siècle que je le côtoie. Tu peux en dire autant ? Certainement pas.
La froide colère qui émanait de Gidéon fit plus qu'appuyer ses paroles. Elle écrasa de toute sa force, de toute son autorité, le frère Hostilius qui avec un regard de rancoeur, se rassit de mauvaise grâce.
-Continue, Gabriel, même si je suis à peu près certain de voir ou tu eux en venir.
-Merci, Frère-Apothicaire, répondit l'intéressé. L'idée de mourir ici ne me fait rien, Frère Hostilius, reprit-il. Si tel est notre destin, je l'accepte et servir l'Empereur par ma mort ici ou ailleurs, c'est toujours le servir. Mais c'est précisément là ce que je veux vous dire. Pour servir l'Empereur, il faut que notre mort ne soit pas vaine. Et si cette centrale tombe intacte aux mains de Gazkhull, notre mort n'aura servit à rien. Abraxas s'est sacrifié pour nous rappeler qu'un sacrifice n'en est un que s'il y a un sens à la mort. Si nous mourons tous pour une centrale qui continuera de fonctionner de toutes façons, à quoi bon serons-nous tombés ? Aurons-nous servi l'Empereur ? Puisque Maître Bélial a décidé que tout se jouera ici, nous devons respecter sa volonté, et il n'est pas question de la remettre en cause. En revanche, devons-nous laisser ces bâtiments fonctionels ? Non ! Il serait totalement absurde de le faire ! Si nous devons tous mourir ici, Gazkhull ne doit pas trouver cette centrale intacte ! Prenons au moins la précaution élémentaire de la miner. Le dernier d'entre nous qui tombera le fera après avoir détruit cette maudite centrale, pour l'honneur de nos morts !
-Mais nous devons agir dans le dos de Bélial, dit Hostilius. C'est de l'hérésie.
-C'est ne pas le faire qui serait hérétique. Si nous ne faisons rien, nous serons mort pour la gloire de Bélial, si nous le faisons, nous serons mort pour celle de l'Empereur.
-Espèce de... hurla Hostilius.
Il se jeta sur Gabriel et, le saisissant à bras le corps, ils tombèrent à terre. Ils roulèrent dans la poussière et les gravas jusqu'au bas du tertre de débris. Par le hasard du combat, ce fut Hostilius qui se retrouva au dessus de Gabriel. Il leva son poing et l'abattit vers la figure de Gabriel en clamant :
-Je vais te faire rentrer tes paroles dans la gorge, sale traître !
Mais il ne porta pas le coup. La poigne de fer de Gidéon l'intercepta et lui tordit violemment le bras : Hostilius laissa échapper un cri de douleur. L'Apothicaire le saisit sans lui laisser le temps de de revenir de sa surprise par le protège-nuque de son armure, le força à se relever, puis lui décocha un direct du droit qui envoya Hostilius s'étaler sur le sol de cendres. Atars aida Gabriel à se relever.
-Quoi ? Même toi Atars ! Tu ne vas quand même pas te ranger à l'avis de ces...
-De ces quoi ? fit sèchement Gidéon. J'ai deux fois plus d'expérience que toi Hostilius, je sais des choses que tu ignores, et je t'avais déjà en assez piètre estime. Je n'ai pas mon mot à dire dans les nominations de maître Bélial mais si j'avais été à sa place tu ne serais pas ici.
-Gabriel l'a traité d'hérétique et c'est moi qui n'ai pas ma place ? Mais dans quel monde vis-tu Gidéon ? Atars ! Tu sais ce que je vaux ! Regardes-nous et dis-moi lequel de nous deux est l'hérétique ?
Le porte-étendard resta silencieux.
-C... Comment ? Mais... mais dis quelque chose bon sang !
-Je ne sais pas lequel de vous deux est l'hérétique ni si l'un de vous l'est plus que l'autre. Et je ne veux pas le savoir, lâcha Atars. Il ne s'agit pas d'hérésie mais de bon sens. Si nous mourons tous, et que la centrale tombe aux mains de Gazkhull intacte, toutes ces semaines de combats n'auront servies à rien. Je ne veux pas que le prix que nous avons payé jusqu'à présent soit vain. La mémoire de nos frères exige que cette centrale reste entre nos mains ou quelque saute. J'ai dit.
-Et nous prendrons toutes les mesures pour que ceci s'accomplisse, conclut Gidéon. J'ai dit.
-Mais c'est de la rébellion ! Vous êtes tous devenus fous ! Fous à lier !
-Ca suffit ! trancha l'Apothicaire. Je suis le plus vieux, c'est de ma seule décision, et ce sera de ma seule responsabilité si l'on devait me demander d'en rendre des comptes. Mais j'en doute.
Hostilius jura, mais ne dit rien de plus, tourna simplement les talons et s'en alla. Les trois autres remontèrent le long de la pente, et Atars et Gidéon conseillèrent à Gabriel de l'attendre au sommet pendant qu'ils allaient chercher à convaincre Harridan. Ils avaient plus de chances d'y arriver que lui.
« Ce que j'ai fait est grave, se dit Gabriel. Hostilius a raison sur deux points : c'est de l'insubordination, et je crois bien avoir été trop loin dans mes pensées en parlant de mourir pour la gloire de maître Bélial. Il me hait maintenant, cet imbécile, et la haine d'un imbécile, c'est toujours dangereux. Il faudra que j'apprenne à mieux retenir mes pensées.
« Suis-je vraiment hérétique ?
« La divergence de pensée, c'est le schisme. Le schisme, c'est l'hérésie. J'avais juré d'obéir aux ordres de mes supérieurs, et voilà que je prends des dispositions pour contrevenir à ceux de mon supérieur direct. En tous cas, il est sans doute assimilable à de l'hérésie de penser, que dis-je, de proclamer que son chef est hérétique. Et je suis certain que cette brute va aller mettre séance tenante maître Bélial au courant pour peu qu'il le retrouve...
« Suis-je vraiment hérétique ? Peut être. Peut être le Lion lui-même s'est-il trouvé confronté à cette situation ? »
Gabriel laissa sa tête basculer en arrière pour aspirer l'air plus librement et se reposer un peu avant le choc qui ne saurait plus tarder. Il repensa au discours qu'avait prononcé le Grand Maître Rhamiel le jour de son entrée comme scout dans le Chapitre. « Dans la souffrance et la douleur, confiez-vous à votre Primarque, Lion el'Jonson ». Fallait-il ici encore lire un sens caché ? Certainement oui, sans doute, et le chemin qui y menait passait par l'épreuve.
« Je ne suis pas hérétique, non. J'agis par sens du devoir, celui de protéger l'Humanité et servir l'Empereur. Cette station doit nous rester ou être détruite, peu importe ce qu'en pense un Hostilius ou un Bélial. Il y a un intérêt plus grand. J'agis pour mes frères, ceux qui sont morts et ce qui seront morts en défendant cette maudite unité. Je n'ai pas le droit de rester là les bras ballants sans rien faire, à attendre une mort stupide. La mort, oui n'importe où, n'importe quand, mais pas stupide. Il est trop facile de paraître coupable à ceux qui ne peuvent rien comprendre. »
-Nous avons parlé à Harridan.
Gabriel sursauta. Gidéon lui posa la main amicalement sur l'épaule.
-Je ne vous avais pas entendu arriver, Frère Gidéon.
-Je sais encore me faire silencieux malgré mon âge, répondit ce dernier d'un air amusé. Bon, enfin, assez badiné. Nous avons parlé à Harridan. Il n'a pas été facile à convaincre lui non plus, mais il a tout de même fini par accepter. De mauvaise grâce bien entendu...
-Bah de toutes façons les Techmarines sont tous les mêmes : toujours ronchons, à grogner qu'on leur abîme leurs belles armures et qu'ils n'ont jamais assez de serviteurs pour tout réparer et trouver le temps de s'occuper des machines à contenter, en plus de tout ça.
-Il y a du vrai dans ce que tu dis, Gabriel, dit l'apothicaire en souriant. Mais, pardonnons-lui : après deux semaines aussi éprouvantes pour ses équipes et lui, on ne saurait vraiment lui en vouloir. Et puis, aller contre la volonté formelle d'un supérieur n'est loin d'être évident pour un Dark Angel. Hostilius a beau être bête comme ses chaussettes de céramite il illustre bien le problème.
-Croyez-vous qu'il puisse avoir l'oreille de Bélial et lui rapporter ce que nous avons fait ? J'ai du mal à porter un jugement sur sa valeur réelle et les raisons qui ont poussé Bélial a en faire un de ses plus proches.
-Justement parce qu'il est fidèle et servile, et qu'il lui voue un véritable culte. J'apprécie maître Bélial, mais il a un goût prononcé pour son image personnelle et apprécie ceux qui savent le flatter. Note que je ne vois pas Hostilius comme un flagorneur patenté. Je le crois sincère. C'est peut être là le pire d'ailleurs. Enfin... Non, il n'hésitera pas une seconde à nous dénoncer, c'est certain, et d'ailleurs si tu veux mon avis, j'imagine qu'en ce moment il doit être en train de déblatérer tout ce qu'il a sur le coeur à notre encontre à son idole. De là à dire qu'il en aura l'oreille... Bélial n'est pas un imbécile, je suis persuadé qu'il a le même jugement que moi sur Hostilius mais il a besoin d'un chantre dévoué. Enfin sans doute...
-Il n'empêche. Le chagrin altère la perception, et la colère de Bélial quand il apprendra que nous contrevenons à sa volonté pourrait bien être redoutable.
-Oui, c'est très juste ce que tu dis-là, dit Gidéon en s'asseyant à ses côtés.
Il se saisit de son épée tronçonneuse et la nettoya quelques instants des restes de sang coagulé qui y adhérait encore. Ses yeux se firent vagues, ils se fixèrent dans le vide et y restèrent quelques instants alors que ses bras exécutaient leur tâche comme des automates. Comme pour se donner le temps de la réflexion.
-J'espère qu'il subsistera même dans un moment aussi dramatique une part de réalisme dans son esprit.
-Que voulez-vous dire frère Gidéon ?
-Il est parfois des vérités qui doivent rester cachées, tu le sais certainement frère Gabriel, fit Gidéon en appuyant un peu sur la fin de sa phrase. Ceci dit, tu n'es pas comme Hostilius, et je crois pouvoir te parler sans détour. Bélial est un bon commandant, mais tout à l'heure, lorsque tu as parlé de « mourir pour sa gloire à lui et non celle de l'Empereur », j'ai le sentiment que cela sonnait atrocement juste. Je t'ai appuyé non seulement pour le bon sens de ta proposition, mais aussi parce qu'au fond, je pense à peu près la même chose. Je le répète, maître Bélial est un bon commandant, mais il a ses défauts et peut être est-il un peu trop... obstiné, dans le mauvais sens du terme, et cela se conjugue mal avec sa soif de gloire et son ambition. Il saura toujours où est la ligne rouge entre orthodoxie et hérésie, mais si cela peut le servir, il n'hésitera pas à la côtoyer.
Il eu un petit rire, et ajouta :
-C'est mal, n'est-ce pas, de parler ainsi dans le dos de notre chef bien-aimé ?
-Je ne sais pas si c'est mal, mais je ne vois pas complètement le rapport avec la mort de frère Abraxas.
-Eh bien, il se murmure parmi les anciens de la compagnie et quelques initiés du Cercle Intérieur que maître Bélial et lui étaient très proches, voire des proches tout court. Cette légende prétend qu'ils furent frères dans leur vie antérieure au Chapitre et que, au jour du recrutement, il n'y avait qu'une place pour l'un d'entre eux. On demanda à ces enfants de sept ans qui devrait survivre à l'autre et tous les deux se seraient serrés l'un contre l'autre en répondant qu'on les tue plutôt tous deux que l'un d'eux. Et, paraît-il, ils ne se sont jamais quittés depuis lors non plus. Je n'ai jamais prêté beaucoup de crédit à cette légende, elle peut très bien avoir été forgée a posteriori car il est vrai que pour ce que j'en sais, ils étaient très liés et ont eu de nombreux états de service ensemble. Je n'y ai jamais prêté beaucoup de crédit, jusqu'à aujourd'hui du moins. Pour ne rien te cacher, puisque nous en sommes là, je n'ai jamais vu maître Bélial dans un état pareil.
-Et vous craignez que ceci le porte à... à quelque action déraisonnable, comme de préférer mourir ici pour lui plutôt que détruire la centrale et se replier sur la chaîne de Koth ?
-Ou même qu'il cherche à se venger, par n'importe quel moyen. Je n'ai aucun moyen de le savoir, je te l'ai dis, c'est une situation inédite pour moi. Mais dans l'état actuel des choses, j'en viens de plus en plus à étudier les solutions à une situation dans laquelle maître Bélial ne serait plus là, physiquement ou mentalement.
Gabriel parut interloqué. Il n'aurai jamais imaginé qu'un Dark Angel puisse envisager une telle possibilité, douter à ce point de son supérieur. Gidéon dut le remarquer, car il poursuivit :
-J'ai deux-cent-cinquante ans de service à mon actif, je suis plus ancien que Bélial lui-même, j'ai de l'expérience et je sais ce qu'est le commandement, l'autorité et le pouvoir. C'est une lourde responsabilité, et, vois-tu, il implique d'aller toujours plus loin dans la réflexion, de dépasser les dogmes en les comprenant si intimement qu'ils finissent par se transcender d'eux-mêmes. Je ne suis qu'Apothicaire, mais tout comme Bethor ou dans une moindre mesure Atars, j'incarne la continuité du pouvoir et du commandement de la Troisième Compagnie, bien au-delà de maître Bélial. C'est toujours lui qui commande, mais c'est nous qui restons lorsqu'il n'est plus là, ou qui resteront lorsqu'il ne sera plus là. Et qui te seconderont lorsque le temps sera venu.
-Me seconder ?
-Te seconder.
-Frère Gidéon, vous... vous n'y pensez pas sérieusement ?
-Au contraire, je ne vois que toi pour suppléer à maître Bélial lorsque l'heure aura sonné.
-MFT-