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14 septembre 2009 1 14 /09 /septembre /2009 09:55
Gabriel se trouvait agenouillé au centre du choeur de la chapelle d'honneur du Roc, simplement vêtu de sa bure cérémonielle brune. Devant lui se trouvait l'autel qu'il avait déjà pu détaillé lorsqu'il avait été amené ici par Naaman lors de son initiation au sein de la confrérie des Frères de batailles. Derrière cet autel trônaient les bannières sacrées des Dark Angels, les trois étendards qu'avait brandis  un nombre incalculable de vétérans au cours de plus de dix millénaires de guerres. Ces précieuses tentures étaient contemporaines des premiers temps de la Légion, un temps où l'Empereur lui-même marchait encore parmi les siens, un temps où le Lion menait ses Astartes de victoires en victoires. Ces reliques pendaient majestueusement au mur, dans une abside au décor magnifique.

Aussi étrange que cela puisse paraître, malgré le fait que la Chapelle fut creusée loin dans les profondeurs du Roc, les vitraux lumineux et chamarrés brillaient d'une lueur claire, lançant des jeux de lumière bigarrées sur le sol dallé, animant les bas-reliefs et les frises sculptées des murs, des arcs gothiques et des voûtes. L'ensemble était somptueux.

Gabriel priait et méditait depuis une bonne dizaine d'heures déjà. Il ne montrait pourtant pas de signes de fatigue, sa robuste constitution ayant beaucoup gagné en endurance après les nombreuses campagnes auxquelles il avait participé. Il lui semblait qu'il était bien loin le temps où, jeune scout de la Dixième Compagnie, il avait été amené par son sergent-instructeur dans ces mêmes lieux pour intégrer au terme d'une série de rites initiateurs le cercle des Space Marines. Soixante-quatre missions et trente-sept ans plus tard, il était à nouveau enfermé dans la solitude, la prière et la réflexion.

Gabriel était jeune, très jeune, et lorsqu'au retour de l'expédition de Morden Prime, il fut appelé par le Grand Maître Belial à intégrer les rangs de la prestigieuse Première escouade tactique de la compagnie, au cours de la traditionnelle cérémonie de clôture d'une opération, il fut le premier étonné. Il n'avait pas encore un seul clou d'ancienneté rivé à son front ! Mais peu importait à Belial. Ce dernier lui remit les Lauriers impériaux pour l'avoir tiré d'une mauvaise passe face à un Talos eldar noir, et lui assura que la liste de ses faits d'armes constituait le meilleur des rivets d'ancienneté qui soit. Gabriel était donc promu parmi les meilleurs guerriers de la compagnie et reçu un tonnerre d'acclamations afin de saluer dignement cet honneur.

Cependant, au lieu de l'accueillir à bras ouverts comme il l'avait tout d'abord imaginé, ses nouveaux camarades ne lui adressèrent pas la parole et le rejetèrent constamment à l'écart. Même dans les exercices de combat, à la palestre réservée aux officiers et vétérans, cette conduite se perpétuait. Gabriel pris d'abord cette attitude comme une marque de dédain réservée à un parvenu, comme une forme de jalousie à l'encontre de sa fulgurante ascension, et cela heurtait profondément sa croyance en une confrérie homogène et solidaire de guerriers telle qu'il imaginait les membres de la première escouade. Quelle chute ses idoles faisaient-elles de leurs piédestal ! La camaraderie de la septième escouade commençait à lui manquer. Gabriel se résolu à considérer ce mépris comme une période probatoire, et pria l'empereur de faire parvenir au plus vite un quelconque appel désespéré d'un quelconque gouverneur impérial d'un quelconque système envahi, afin de leur montrer au plus tôt que son mérite n'était pas usurpé. Mais rien ne vint....

Heureusement, le trajet ne fut pas long. Au débarquement, à peine était-il entré dans ses anciens quartiers pour déménager les quelques affaires qui ne partaient pas avec lui en campagne que s'encadra dans la porte le vieux Severian. Son mentor lui fit signe de le suivre, après s'être toutefois habillé de sa seule bure de cérémonie. Il l'accompagna ensuite dans le dédale de couloirs qui serpentait à travers le Roc, et l'Investigateur l'abandonna finalement sans dire un mot dans la Chapelle d'Honneur.

Gabriel comprit qu'il était à un nouveau seuil de son existence de service, au seuil d'un nouveau rite d'initiation.
Aussi se mit-il à prier et à réfléchir sur ses années de service, sur ce que signifiait pour lui l'honneur d'appartenir au Chapitre des Dark Angels, le plus glorieux des Chapitres de l'Adeptus Astartes. Il s'interrogea longuement sur le sens que sa vie avait eu jusqu'ici, à toutes les actions qu'il avait entrepris, les erreurs qu'il avait commises et les réussites ou les exploits qui l'avaient illustré. Lorsqu'il se trouvait être en panne, ou qu'il avait besoin de souffler un peu et de laisser retomber sa concentration, il s'absorbait dans la contemplation du décor fantastique qui l'entourait.

Enfin, il entendit un pas lourd, le pas de bottes de céramite, résonner sur le sol dallé. Il se remit lentement debout, puis se retourna pour faire face au Chapelain Abraxas. Le terrible Astartes portait une bure blanche sur son armure noire, ornée de deux galons de pourpre tout le long du bord inférieur. Abraxas avait revêtu son casque au faciès morbide, et se tenait droit, sans arme mais pourtant tout à fait menaçant, comme si son simple aspect était la meilleure des armes qui fut.

-Viens.

Gabriel lui emboîta le pas dans la direction de la sortie, qu'ils franchirent dans le plus profond silence. Aussitôt dehors, ils furent encadrés de part et d'autre par deux de ces petits êtres étranges que l'on appelle « Ceux-qui-regardent-dans-les-Ténèbres ». Ils descendirent de plus en plus profondément, sans croiser quiconque dans les couloirs. Enfin, après avoir tourné dans un dernier couloir fort obscur et descendu un dernier escalier, ils s'arrêtèrent devant une massive porte de bois d'ébène, marquée de l'épée ailée. Sur le linteau de granit, courait une maxime gravée en haut gothique : « Rien de ce qui entre ici n'en ressort ». La porte elle-même était gardée par deux autres petites choses encapuchonnées.

-Je suis Frère Abraxas, Chapelain de la Troisième Compagnie. J'amène avec moi Frère Gabriel, valeureux Dark Angel et prétendant au Premier Cercle.

L'un des deux capuchons traça une série de signes mystérieux de ses manches, puis le second poussa la porte qui s'ouvrit sans peine. Les Astartes entrèrent.

Ils pénétrèrent dans une salle obscure et voûtée, éclairée de candélabres et d'un vaste chandelier. Le long d'une table, étaient assis sept Space Marines, tête nue, le casque posée sur la table. Gabriel les reconnu tous et fut impressionné : il s'agissait du Grand Maître Suprême Azrael lui-même, de ses deux lieutenants Sammael et Bekenel, de Belial, de Severian, du Maître-Archiviste Ezekiel et enfin d'un dernier personnage qui semblait moins humain que cybernétique : le Maître de la forge Toleus. Abraxas fit le tour de la table et vint s'assoir sur le dernier siège de libre, laissant Gabriel seul face à l'assemblée, au garde-à-vous.

Azrael prit la parole :

-Frère Gabriel, dit-il, Maître Belial t'a jugé digne au sortir de la campagne de Morden Prime d'intégrer le rang prestigieux de vétéran du Chapitre. J'ai donc décidé de réunir le Cercle Intérieur en son conseil restreint pour que nous tranchions si oui ou non cet honneur te serait accordé. Au vu de ton dossier et de tes états de service, n'importe quel Chapitre de l'Astartes t'aurait promu à cet honneur. Cependant, les Dark Angels ne sont pas n'importe quel Chapitre de l'Astartes, en conviens-tu ?

-Par le Lion, acquiesça Gabriel !

-Les Dark Angels estiment qu'un bon vétéran est non seulement un loyal serviteur de l'Empereur, non seulement un excellent combattant, mais qu'il est aussi capable de comprendre par son expérience et son intelligence le sens profond des choses. Un vétéran doit savoir mené une escouade, doit savoir comment réagir dans des situations inédites, et pour cela il doit être capable de se faire une idée la plus précise qui soit du problème qu'il affronte. C'est cette capacité d'analyse que nous allons jugé à présent.

-Je suis prêt à me soumettre à votre jugement, Frère Azrael.

-Bien. Tout d'abord, j'aimerais savoir à qui va ta loyauté.

Gabriel fut surpris mais ne cilla point. Il se serait attendu à une question moins plate !

-Ma loyauté va à l'Empereur et au Chapitre.

-Comment s'exprime la volonté de l'Empereur ?

-Par la voix du Haut Conseil de Terra.

-Et comment est-elle relayé ?

-Par l'Administratum.

-Mais s'il advenait que momentanément, la volonté de l'Administratum et celle du Chapitre divergeait ?

-Servir le Chapitre, c'est servir l'Empereur.

-Pourquoi ?

-L'Empereur est notre Père, nous sommes à son service exclusif et n'avons pas à dépendre des volontés de l'Administratum.

-Mais c'est celle du Haut Conseil ?

-Le Haut Conseil n'a autorité que sur ce qui le concerne. L'Astartes relève directement de l'Empereur, pas du Haut Conseil. Les Dark Angels sont Ses Prétoriens, nous Le servons en servant le Chapitre.

-Je me souviens d'un épisode douloureux, qui eu lieu lors de ta première mission au sein de la Troisième Compagnie, fit Abraxas, après la coûteuse victoire du pont de Gerzéel. T'en souviens-tu ? Te souviens-tu de ta réaction ? Es-tu sûre qu'elle est bien en accord avec ce que tu viens de déclarer ?

-Je m'en souviens, Frère Chapelain, répondit Gabriel en tournant la tête vers lui. Nous avions abandonné la position après l'avoir si chèrement défendu, et quitté la planète sans donner d'explications au Munitorum. A l'époque j'avais réagi violemment... et vous m'aviez remis à ma place de la même manière, ajouta-t-il en se massant légèrement le menton. Un sourire fugace éclairci le visage d'Abraxas et d'Azrael. Mais j'étais jeune et je n'avais pas encore autant mûri ma réflexion qu'aujourd'hui, reprit-il. Les prêches du Chapelain-Investigateur Severian m'ont fait comprendre beaucoup de choses. Je dois ajouter qu'en bonne part, ma réaction à l'encontre de notre redéploiement avait été suscité par mon désir de venger mes frères tombés au combat.

-La vengeance est un juste sentiment, et un sentiment honorable, néanmoins comme je te l'avais alors déclaré, tu vengeras tes frères à chaque fois que tu abattras un adversaire. La vengeance est l'un des plus beaux cadeaux que l'Empereur ai fait à l'Humanité.

-Oui, Frère Chapelain, et je dois dire que je les ai vengé depuis longtemps, et que je continue de le faire. Mais à vrai dire, je ne combats pas pour eux. Je combats pour l'Empereur. La vengeance n'est qu'un instrument qui me sert à décupler mes forces pour Son service.

Abraxas ne répondit rien, mais Gabriel sentit qu'il l'avait touché.

-Si je lis ton dossier, enchaîna Ezekiel, je vois que le sergent instructeur Naaman fait l'éloge de tes capacités d'appréhension de la tactique et de la stratégie. J'y lis aussi que tu étais passionné par les récits du Chapitre qu'ils vous racontait. Il y loue notamment le fait que tu répondais toujours avec exactitude à ses questions. Comme c'est aussi mon rayon, fit-il en s'autorisant à son tour un léger sourire, j'aimerais tout d'abord me rendre compte de ta connaissance en la matière. Pourrais-tu par exemple me résumer l'histoire du dernier chevalier Barracide ?

-Cette histoire remonte à l'époque de Caliban, quand le Lion était encore chevalier de l'Ordre. Gottwald, de la lignée des Barracides, quitta le donjon de sa famille pour une vie d'aventure au service de ceux qui souffraient des ravages des créatures des ténèbres. Il laissa la gestion de ses domaines et l'éducation de son jeune fils à son beau-frère. Lorsqu'il revint quinze ans plus tard, ses affaires les plus juteuses étaient devenues les possessions de son beau-frère, et les autres avaient périclité. Plus personne ne voulait le reconnaître, pas même son fils que son tuteur avait transformé en un monstre de cruauté. Gottwald jugea qu'ils avaient été pervertis par l'influence du Chaos et les massacra  jusqu'au dernier.

-Que retiens-tu ?

-Que quiconque dévie s'expose au juste courroux du vertueux. Il faut savoir faire montre d'intransigeance face à la corruption. C'est pourquoi le dernier des Barracides s'est conduit en héros. Il a pourchassé et tuer jusqu'à son propre fils pour laver son honneur et extirper la perversité maligne du Chaos. C'est une lutte constante qui ne souffre aucune pitié, et aucune compromission.

-Voilà qui est bien dit. Parle-moi du jugement des trois fils du Grand Maître Phéanor.

-Phéanor était le dirigeant d'un ordre de chevalerie lignagier. Il avait trois fils et ses trois fils conspirèrent pour renverser leur vieux père. Lorsqu'il l'apprit, Phéanor fut terrifié car ils étaient ses seuls successeurs à la tête d'un ordre qu'il venait à peine de contribuer à redresser d'un schisme hérétique. Pourtant, il les fit mettre à mort et exécuta lui-même la sentence comme la coutume l'exigeait. On rejoint ici une dialectique assez semblable au récit précédent : Phéanor se trouve face à la trahison de ses êtres les plus chers et se trouve confronté à un dilemme : doit-il être indulgent et céder sa place contrairement à la justice et son rôle de chef, ou se conformer à ce qu'exige sa charge, fût-ce un si énorme sacrifice ? Phéanor lui aussi est un héros car il choisit de sacrifier  l'oeuvre de toute une vie au profit de la justice que réclamait sa dignité.

-Que signifie pour toi : n'oublie jamais, ne pardonne jamais ?

-C'est la maxime qui doit nous guider dans notre lutte contre la corruption, mais je dirais qu'elle ne va pas sans celle-ci : « un moment d'égarement entraîne une éternité d'hérésie ». A partir du moment où l'on traque l'hérésie, la lutte doit être menée jusqu'à son terme, sans pitié, sans remords et sans doutes. Surtout sans doutes. Le doute, c'est le début de l'hérésie car c'est remettre en question Son service.

-Pourtant il est possible de douter : on peut se trouver dans la situation où Son service peut requérir des actions différentes et contradictoires. A ce moment-là se pose la question suivante : que dois-je faire pour m'acquitter au mieux de mon devoir envers l'Empereur ? N'est-ce pas ?

-Je sers l'Empereur en servant mon Chapitre : je prendrais la solution qui ira dans son intérêt, car se sera celui de l'Empereur par voie de conséquence. Mais je laisse le doute à mes supérieurs : j'exécuterai leurs volontés.

-Tu as une telle confiance en tes supérieurs ?

-Dans la mesure où ils ont très certainement passé cet examen avant moi, oui, répondit Gabriel avec malice. Ils comprennent certainement des choses qui me sont encore inaccessibles. Ils savent donc mieux que moi comment servir l'Empereur au mieux.

Un ange passa. Azrael griffonna quelque chose sur un parchemin, laissa retomber la plume puis se redressa. Il fit simplement :

-Bien. Le cercle intérieur va se retirer et délibérer.

Ils se levèrent tous et se dirigèrent vers une porte dérobée, qu'on eu pas soupçonnée tant l'obscurité la cachait. Tous les officiers s'y engouffrèrent et le dernier referma la porte dans un bruit sourd. Gabriel resta seul, anxieux. Il espérait avoir bien répondu aux questions et satisfait son jury. Il avait bien conscience que si l'avis était défavorable, c'était son arrêt de mort. « Rien de ce qui entre ici n'en ressort » proclamait l'inscription sur le linteau qui surplombait l'entrée. Il savait de par son expérience que dans le Chapitre, le secret était de mise, et dans qu'il n'existait aucune pitié lorsqu'on encourrait une sanction. L'examen l'avait bien rappelé. Au seuil d'accéder sans doute à un rôle privilégié au sein du Chapitre, avec les responsabilités qui incombaient, il ne lui serait pas témoigner de remords s'il contrevenait aux exigences. Ce qui l'intriguait, c'est que jusqu'ici rien de nouveau ne lui était apparu, en tous cas rien qui justifia de mettre à mort ceux qui échouait aux tests. Lui restait-il donc des épreuves à passer ?

De plus, Gabriel devait bien avouer qu'il était déçu : il s'attendait à obtenir des réponses aux questions qui le torturaient jour et nuit lorsqu'il ne combattait pas, à l'exercice comme en campagne. Ces réponses n'étaient pas venues, et il savait qu'il ne pouvait pas les poser. Les Dark Angels étaient un Chapitre dans lequel le secret était la règle. Le silence qui pesait sur certains détails qui avait heurtés Gabriel était si lourd qu'il en disait plus long qu'il ne l'aurait voulu. En voyant la maxime qui frappait le linteau de l'entrée, le jeune Astartes avait secrètement espéré qu'enfin, il obtiendrait des éléments de réponse, aussi terrible et aussi dangereuse serait-elle. Qu'on lui donna une piste ! Il s'en débrouillerait et son intelligence ferait le reste !

Il en était là de ses réflexions quand Severian repassa la porte. Dans l'obscurité, et tout accaparé qu'il était par ses pensées, Gabriel n'avait pas vu la porte s'ouvrir. Le vieux Chapelain avait repassé son casque à tête de mort. Il avança jusqu'au centre de la pièce.

-Suis moi.

Gabriel obéit. Il franchit à nouveau la porte sous les talons de son mentor, et déboucha dans une pièce de faible dimension, éclairée par quatre grandes torches, accrochées le long de quatre colonnes portant les arcs d'une voûte gothique. Au milieu trônait sur un piédestal une coupe d'or, sur laquelle était posée un pièce de tissu blanc. Il s'agissait de la mythique Coupe du Châtiment.

-Le Cercle Intérieur en son conseil restreint agrée ta promotion au rang des vétérans, cependant il souhaite t'imposer une dernière épreuve.
-Je me soumets à la sagesse de son jugement. Je suis prêt à affronter cette dernière épreuve.

-Oh, elle est assez simple en fait, fit Severian de manière assez surprenante -s'exprimer de cette manière ne lui était pas coutumier-. Le conseil souhaiterait seulement savoir si tu connais parfaitement l'histoire du Chapitre.

Quelle question étrange ! Il était du devoir de tout novice de la connaître dans les moindres détails. Cette question banale devait certainement renfermer un piège, et peut être le ton badin qu'avait employé le vieux chapelain en était un indice supplémentaire.

-La première Légio Astartes que créa l'Empereur fut celle des Dark Angels. Elle lui servit de garde personnelle jusqu'à ce qu'il retrouva le Lion sur Caliban. Sous son commandement, nous conquîmes les étoiles et nous libérâmes plus de monde que n'importe quelle autre Légion, à l'exception de celle de l'Archi-hérétique. Lorsque celui-ci révéla sa vraie nature de fourbe, de faux et de parjure, le Lion  avait été envoyé selon ses ordres accompagné du Loup à l'autre bout de la galaxie, afin que nos guerriers ne renversent pas le cours des choses comme il l'aurait fait. Le Loup nous retarda tellement à vouloir purifier chaque monde rebelle de l'hérésie que lorsque les deux flottes arrivèrent au dessus de Terra, le drame était fini et elles ne trouvèrent qu'un palais dévasté, un Horus mort et l'Empereur blessé grièvement, placé d'extrême urgence sur le Trône d'or. Furieux, le Lion se brouilla définitivement à le Loup et rentra aussitôt sur Caliban afin de rassembler sa Légion et partir aussitôt à la poursuite des fuyards, avec les Ultramarines de Roboute Guiliman, les Imperial Fist de Dorn et les restes des légions qui n'avaient pas trahies l'Empereur. Mais comme le Lion mettait sur pied son expédition, une gigantesque invasion du Chaos déferla sur Caliban et les créatures des ténèbres surgirent à nouveau des forêts dont on croyait qu'elles étaient pourtant débarrassées de cette souillure. Finalement, après un combat titanesque, Caliban fut presque entièrement détruite et près de la moitié de la légion avait péri. Le Lion décida d'un plan audacieux et il passait par sa propre mort : il ordonna qu'une fois qu'il se serait jeté dans la mêlée, afin de retarder les hordes du Chaos, les Dark Angels, puisqu'ils ne pouvaient sauver leur monde, le bombarderait jusqu'à sa destruction totale afin d'en finir avec la corruption et l'hérésie. Mais il faudrait du temps et une diversion, c'est pourquoi Lion El'Jonson se sacrifia. C'est depuis ces temps que le Roc existe. L'histoire de notre Primarque est la plus belle histoire de sacrifice que les livres du Librarium raconte, frère Chapelain. Bien plus que celle du dernier Barracide ou de Phéanor l'Ancien, ajouta-t-il avec un air malicieux.

-Effectivement, c'est une belle histoire. Et c'est bien ce qu'elle est : une belle histoire.

-Que voulez-vous dire, Frère Chapelain ?

-Allons, je pense que tu peux le deviner toi-même, fit mystérieusement Severian d'une voix sourde.

-C'est à dire que tout cela n'est... qu'affabulation ? reprit Gabriel avec une pointe d'étonnement dans la voix.

-Non, les grandes lignes sont vraies, il n'y a que certains points que le Cercle Intérieur ne souhaite pas divulguer, et tu vas vite comprendre pourquoi. Lorsque le Lion revint sur Caliban, qu'il avait laissé à la garde de quelques uns de ses guerriers et du meilleur d'entre eux, son ami intime Luther,  il fut frappé d'horreur et consterné. Il ne restait rien de l'ancienne garnison, les nobles Dark Angels avaient été complètement anéantis et sa planète était en proie au Chaos. Ce que voyant, le Lion comprit qu'il n'y avait plus aucun autre remède que l'Exterminatus. Du moins le pensait-il. Il entreprit de sauver ce qui pouvait encore l'être dans le plus grand des monastères de Caliban, la Tour des Anges, et fit déverser un  tel déluge de feu sur son ancien monde que la planète se craquela, fut atteinte jusqu'à son noyau et finalement explosa en un fantastique champ d'astéroïdes.  Mais la destruction des forces du Chaos n'avaient pas été totale. Des bandes de traîtres des légions renégates parvinrent à s'extraire de Caliban avant la chute finale. Pire, ils emportèrent avec eux des stocks importants d'implants génétiques du Chapitre. Lorsque le Lion l'apprit, il décida de partir lui-même à la poursuite des pillards, et il les pourchassa jusque dans le Maelström du Warp qui s'était ouvert dans les ruines de Caliban. Depuis, nul ne l'a jamais revu. En revanche, il apparaît de temps à autres des individus esseulés ou par petits groupes, qui portent notre héraldique et proclament sur le Chapitre des insanités dont la mort est le seul repentir possible. Ces faux Dark Angels sont créés à partir de notre patrimoine génétique. Mais en aucun il ne s'agit de nos frères : ce ne sont que des agents à la solde de l'Archihérétique Abaddon ! Leur seul souhait est de déstabiliser le Chapitre car il est l'un des plus puissants de l'Imperium. Ils veulent semer la discorde parmi les Adepta de l'Imperium, dans le seul but de le miner de l'intérieur afin que le suppôt des Dieux Sombres puisse l'attaquer. Ils s'attaquent à un symbole en répandant dans la populace des bruits infamants sur le Chapitre, afin de ruiner l'oeuvre de l'Empereur. Ces individus ne méritent que la mort, et c'est la tâche du Cercle Intérieur et du Premier Cercle que de les pourchasser sans relâche.

Severian se tut. Gabriel ne disait rien, pensant à juste titre que derrière son masque morbide, le Chapelain surveillait ses réactions. Il s'agissait certainement du véritable piège, et peut être le ton badin de l'Investigateur était-il sciemment étudié pour le lui faire soupçonner. Il étudia les révélations que venait de lui faire son supérieur. Ainsi, le Chapitre mentait sciemment à l'écrasante majorité de ses frères ! Le secret était si profondément implanté dans le cœur des Dark Angels que la confrérie des Frères de bataille que devait former chaque Chapitre de l'Astartes n'était somme toute qu'un vain mot chez eux ! Si en effet le Chapitre taisait des pans entiers de son histoire à la quasi-totalité de ceux qui œuvraient pour lui, comment encore croire qu'on était solidaires, mus par un même sentiment commun de fraternité ? Gabriel se sentait révolté. On lui avait menti depuis le début. Tout ce qu'il avait cru jusqu'à aujourd'hui, tout ce pourquoi il avait œuvrer jusqu'à aujourd'hui n'était rien d'autre que de la poussière. Tout ce qu'il avait chéri jusqu'ici n'était qu'un tissu de mensonge. Il se glorifiait chaque jour d'une belle histoire ! Pour tout dire, il se sentait trahi. Comment pourrait-il encore faire confiance à ses supérieurs, lui qui pourtant une dizaine de minutes auparavant louait la sagesse de ces derniers et ce faisait une fierté de servir en leur laissant la lourde responsabilité du doute !

Terrible responsabilité que le doute. Gabriel se remémora une petite phrase qu'on lui avait inculqué dans ses premières heureux de noviciat : « béni soit l'esprit trop étroit pour le doute ». A bien y réfléchir, Gabriel commençait à se demander si au contraire cette démarche n'était pas la meilleure qui fut: réserver le poids du secret, d'un secret si terrible, à une seule élite capable de l'assumer, c'était protéger les autres. Il était certainement mieux que le grand nombre n'en sache rien, continue de servir l'Empereur comme tout Space Marine de l'Adeptus Astartes, de peur que d'une part certains défaillent sous le poids d'une telle révélation, d'autre part certains soient perméables aux prêches hérétiques des imposteurs. Un moment d'égarement entraîne une éternité d'hérésie. Fournir le matériau pour semer soi-même les graines du schisme dans le Chapitre, pousser les Frères de bataille à l'hérésie, voilà effectivement tout ce qu'il y avait à gagner en révélant à chacun des frères ce secret. Mieux valait en effet le réserver à ceux dont en pensait qu'ils auraient les ressources suffisantes pour le supporter. Voilà qui justifiait de mettre à mort quiconque ne serait pas jugé assez fort pour le faire. C'était le devoir qui incombait au Chapitre, aussi lourd était-il : mentir, pour le bien de tous.

Pendant tout le temps qu'avait duré sa réflexion, Gabriel avait fait tout ce qui lui était possible afin de conserver un masque d'impassibilité, du moins un visage illisible afin que Severian n'y puisse y lire le désarroi qui tout d'abord l'avait envahi. Puis, au fur et à mesure qu'il avançait dans son raisonnement, il s'attacha à se composer un air marquant la résolution et la détermination. Car c'était certain à présent, c'était maintenant qu'avait lieu la dernière épreuve, l'épreuve décisive, voulue par le Conseil : les révélations étaient suffisamment dangereuses pour faire disparaître quiconque serait susceptible d'en faire un usage jugé contraire aux intérêts du Cercle Intérieur.

-Mentir pour le bien de tous n'est pas un acte pervers mais un mal nécessaire, lâcha-t-il finalement.

-Bien, mon garçon. J'ai toujours cru que tu me ferais cette réponse et je ne m'étais pas trompé. Je te félicite, Gabriel, tu seras un jour un grand héros du Chapitre. Prends la bure qui se trouve sur le calice, quitte l'ancienne et revêt-toi de celle-là.

Gabriel s'exécuta, quittant son ancien statut, devenant symboliquement un nouveau Gabriel, un membre de l'élite de l'élite de l'Humanité. Un vétéran du Chapitre des Dark Angels. Severian souleva la coupe, et la présenta à son ancien novice.

-Prends cette coupe, Gabriel, et jure de défendre le Chapitre quoi qu'il t'en coûte contre l'Hérésie. Jure de toujours chercher à châtier ces rebelles sans connaître le repos. Une fois ceci fait, tu prendras ce couteau et t'entaillera le pouce. Tu mélangeras ton sang au vin qui est au fond du calice. Puis tu boiras le tout, jusqu'à la lie.

Gabriel jura et s'exécuta, répétant un geste qu'il avait  fait chaque année lors du Banquet des Maudits sans vraiment savoir ce qu'il signifiait. A présent il comprenait. C'était à la fois le renouvellement rituel du serment que chacun des vétérans prêtait lorsqu'il recevait l'honneur de partager le lourd fardeau du Chapitre. C'était aussi le symbole manifeste de l'union des initiés à ce secret et des autres dans le même désir commun : servir le Chapitre et l'Empereur, quelqu'en soit la forme, quelqu'en soit le coût.

Enfin il reposa la coupe. Severian lui désigna la sortie, de l'autre côté de la pièce, face à la première porte qu'ils avaient emprunté.

-Frère Chapelain, j'ai une question à vous poser.

-Pose-la.

-C'est à la poursuite d'un tel individu que nous dûmes de quitter sans avertissement la Croisade des mondes de Fulk après l'épisode du pont de Gerzéel ?

-C'est effectivement une illustration du sacrifice que le Chapitre se doit d'accomplir pour le bien de l'Humanité.

Gabriel acquiesça sans mot dire.

-Dois-je comprendre, interrogea le chapelain, que malgré ton discours sur cet incident tout à l'heure, tu n'étais toujours pas intimement convaincu de la noblesse de leur sacrifice ?

-Bien sûr que si, Frère Chapelain, tout mort au service de l'Empereur connaît le plus noble des trépas. Mais je peux définitivement tourner la page à présent que je connais le fin mot de cet incident.

-Ton attitude est noble, Gabriel. Je suis fier de toi. Tu iras loin, crois-moi. Sortons à présent.

Ils passèrent la porte basse de l'autre côté. Dans une vaste salle brillamment éclairée, aux tapisseries et aux vitraux colorés, une longue table l'accueillit avec des applaudissements. S'étaient réunis tous les hommes de la première escouade, qui vinrent le féliciter et s'adresser pour la première fois à lui avec chaleur depuis qu'il les avait rencontré. Gabriel compris qu'ils étaient liés par ce que lui-même venait d'apprendre, et qu'il ne pouvait pénétrer leur fratrie qu'une fois ce lourd secret connu. Abraxas fit signe à un grand nombre de serviteurs de commencer à servir le banquet, et tous les convives s'assirent. Belial, qui présidait la fête, s'assit seul en bout de table. Comme le repas s'achevait, il se leva, appela Un-de-ceux-qui-regarde-dans-les-ténèbres, et fit lever à son tour Gabriel. La petite forme encapuchonnée arriva avec un coussin de satin rouge de belle taille. Sur celui-ci reposait une belle épée, qui imitait en tous points celle qui frappait les armures des Dark Angels.

Belial la prit et la présenta à Gabriel. Ce dernier la reconnu immédiatement : c'était celle d'Ekar.

-Gabriel, fit le Grand Maître, en l'honneur de ton initiation à la confrérie des vétérans du Chapitre, et en remerciement de ton action d'éclat contre ce Talos sur Morden Prime, accepte de recevoir ce présent.

Gabriel s'en saisit, la main droite sur la poignée, la main gauche à plat sous la dangereuse lame, pour l'instant amadouée comme une auxiliaire bien dressée. Il admira le travail de l'artisan qui l'avait forgé. Une lame bien équilibrée, élégante et mortelle. Une belle garde, une poignée assez longue pour la manier à deux mains. Un pommeau lourd mais soigné.

-Il m'a semblé que tu te maniais cette arme de belle manière, et cela me chagrinait que vous soyez séparé tous les deux. Qu'elle soit ton alliée fidèle dans la bataille, et que votre alliance purge la galaxie des ennemis de l'Empereur. Fais-en bon usage.

-Merci Frère Belial. Je ne sais que dire, répondit-il.

-Eh bien, tu pourrais commencer par lui donner un nom, n'est-ce pas ?

-C'est juste, Frère Capitaine, mais j'aimerais qu'elle et moi fassions plus ample connaissance avant que je la baptise du nom qu'elle mérite.

Belial sourit et dit :

-Un jugement sans hâte et réfléchi est le plus sûr des jugements. Severian, qui me tanne à longueur de temps à ce sujet, a raison : tu feras un grand Dark Angel.

-MFT-
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