17 mars 2009
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Voilà plusieurs heures que Gabriel psalmodiait à genoux devant l’autel de l’Empereur Rédempteur, installé dans une petite alcôve de la Chapelle d’Honneur du Roc. L’édifice souterrain, taillé dans la masse du gigantesque astéroïde, étalait pourtant une splendeur rare. Bien que d’une taille somme toute modeste, comparée aux grandes salles que le Roc abritait dans ses profondeurs, la richesse de son décor en faisait un édifice magnifique. Les ciselures d’argent, les dorures, les frises sculptées, couraient le long des murs et des colonnes ou des voûtes, des mosaïques composées de fragments millimétriques de jade, de lapis-lazuli, de porphyre, d’ivoire, d’argent, de rubis, de topaze, d’argent et d’or, ornaient le sol et les absides. Des autels, des statues de marbre, s’élevaient dans des niches ou dans le chœur de la Chapelle. Mais par-dessus le luxe de ce décor grandiose, il y avait plus impressionnant encore. Entre les arcs gothiques qui délimitaient les trois travées pendaient les bannières de bataille du Chapitre. Toutes les bannières des compagnies flottaient le long de la travée centrale, et des étendards bien plus anciens, de véritables reliques, étaient suspendus autour du chœur. De l’autre côté du chœur, une dernière abside abritait le long de ses murs les trois étendards sacrés des Dark Angels, la Bannière du Courage, la Bannière du Châtiment et la Bannière de Dévastation. Elles entouraient un autel placé devant une statue du Lion en armes. Seul était absent l’Etendard du Chapitre, qui lui trônait au-dessus de la place d’honneur du Grand Maître Suprême, dans le Hall des Guerriers.
C’était Naaman, son instructeur, qui, sans un mot, était venu chercher le novice dans sa cellule et l’avait amené dans cette alcôve. Il l’avait laissé seul, l’invitant à se recueillir, à prier et à méditer sur lui-même, sur son Devoir et sur l’univers tout entier. Devant lui, sur l’autel, avait été posé le Liber Honorificorum, qu’il avait vu pour la première et unique fois lors de son arrivée au sein du Chapitre. Ce livre recensait tous les noms des Frères qui étaient tombés au combat, afin que par delà la mort, ils restent immortels et traversent les siècles. Gabriel avait appris que la mort n’était pas une fin en soit, car quiconque tombe peut servir encore l’Empereur par bien des façons. Que ce soit grâce aux glandes progénoïdes, sous la forme d’un gigantesque Dreadnought, ou bien sous celle de son nom, une fois inscrit sur ce registre sacré, un Astartes ne mourrait jamais vraiment. Il appartenait à ses Frères de se remémorer et de célébrer son nom pour qu’il traverse les siècles des siècles.
A jeun –il n’avait rien avalé depuis la veille-, il s’était laissé entraîné dans sa méditation, et la faim qui tenaillait son ventre, il ne la ressentait plus. Il savait que cela faisait des heures qu’il était ici, mais il n’avait aucune idée du compte exact. Un pas résonna sur le dallage de marbre de la chapelle. Ce fût à peine si Gabriel l’entendit, absorbé qu’il était dans ses pensées. Une main lui tomba sur l’épaule.
-A présent que ton temps de recueillement est achevé, Gabriel, suis-moi.
Gabriel se releva avec lenteur, puis se retourna et dévisagea Naaman d’un regard fatigué, mais dans lequel brillait encore une lueur de curiosité. Naaman sortit de l’alcôve, referma la double-grille sur les talons de Gabriel, puis le guida vers l’abside principale, dans laquelle pendaient les étendards sacrés. Il contourna l’autel, suivit de son novice, et ouvrit une petite porte que la taille de la table d'offrandes masquait au regard provenant du chœur.
-Avant de poursuivre plus avant, il te faut revêtir ceci.
Le vétéran tendit à Gabriel une tunique d’un blanc immaculé, qu’il avait amené avec lui. Le novice retira sa bure brune, se saisit de la tunique confectionnée dans du lin d’une finesse remarquable, et la passa.
-Entrons à présent, novice.
La porte était basse, mais elle donnait accès à un couloir plus bas encore. Gabriel et Naaman durent se plier en deux pour entrer. Ils parcoururent ainsi une distance assez grande, et le chemin semblait descendre coudes après coudes jusqu’au centre du Roc. Après une bonne vingtaine de minutes de descente, Gabriel et son guide se trouvèrent devant une haute porte d’ébène, qu’ornait dans un ivoire poli l’épée ailée des Dark Angels. Naaman se retourna vers lui.
-C’est à ce seuil que débute ton initiation, un chemin qui te mènera ou bien à la phratrie des Frères de Bataille, ou bien aux bras de la Mort. Je serais ton guide et ton initiateur, ne parle pas, ne questionne pas, mais comprend et apprend si tu veux vivre. Ton avenir sera entre tes mains sitôt que tu auras franchi cette porte. Il est temps, Novice Gabriel, que tu pénètres la Confrérie des Dark Angels.
Et d’un puissant geste, il écarta les battants.
Un nouveau couloir s’ouvrait devant eux. Ils l’empruntèrent et débouchèrent rapidement de l’obscurité totale dans laquelle ils se trouvaient à une salle éclairée par des flambeaux. Sur les parois, des peintures murales dépeignaient des adversaires que Gabriel avait pour la plupart déjà combattu. Les torches projetaient leurs clartés et leurs ombres sur les fresques et leur donnaient vie en s’accrochant à leurs reliefs au gré des ondulations des flammes. Au centre de la salle, deux statues en armes figuraient Lion El’Johnson et son Père luttant côte à côte. A leurs pieds, un autel avait été élevé avec les crânes de toutes sortes de Xenos abattus par les Dark Angels au cours de leurs campagnes.
-Te voici dans la Salle du Xenos. Si l’Univers n’a été créé que pour fournir à l’Humanité un espace à conquérir et sur lequel régner, il existe pourtant à l’intérieur de ce pré carré le Xenos. Le Xenos peut avoir diverses formes et nombre d’aspects. Il peut avoir de nombreuses ressemblances avec l’Humain comme il peut n’en avoir aucune, il peut être doté d’une conscience développée comme il peut être une simple bête dénuée de toute espèce d’âme. Mais le Xenos est le Xenos car il sera toujours différent de l’Homme, et qu’il s’opposera constamment quoi qu’il fasse à la volonté de l’Humanité, à Sa Volonté. Le Xenos est une menace constante pour l’Homme, et il n’y aura pas de répit jusqu’à ce que sa race ait été anéantie à jamais. De sorte qu’il faut abhorrer le Xenos tant que celui-ci est en vie, et n’accepter jamais aucune compromission avec ces ennemis de l’Humanité. L’Astartes fut créé par l’Empereur pour délivrer l’Homme de la tutelle du Xenos, nous ne renierons jamais sa volonté.
Naaman marqua un temps d’arrêt.
-Lorsque les Dark Angels furent créés, ils furent les Frères-Aînés, les Prétoriens, et les premiers ils entamèrent la lutte au côté de leur Géniteur contre l’Extraterrestre. Toujours zélés dans l’accomplissement de cette tâche, ils libérèrent des centaines de mondes de leurs jougs, et même si à présent l’Empereur n’est plus parmi nous, dix mille ans d’histoire, de guerre et combats n’ont pas réussi à rompre le serment de ne jamais composer avec le Xenos. Au cours de ces dix mille ans de luttes, la défense de l’Humanité ne faillit pas mais elle exigea des sacrifices toujours plus grands et un tribut toujours plus lourd. Le Liber Honorificorum compile le nom de chacun des Frères tombés au combat, le Librarium renferme dans ses Saints Ouvrages la liste des hauts-faits accomplis par chaque Dark Angel au cours de son service. La liste des actes de bravoures et des actions d’éclat de chacun des Astartes du Chapitre couvre des parchemins entiers, et longue encore sera la liste de ceux qui viendront s’y ajouter.
Il marqua un nouveau temps d’arrêt.
-Cette guerre est affaire d’armes, de lames, d’obus, de bolts, de chars et de navires, de sang. Tout au long de ton service, il te faudra souffrir, peiner, il te faudra te sacrifier pour que règne l’Empereur et que survive l’Humanité. Es-tu prêt à faire ce sacrifice ?
-Oui, je jure devant l’Empereur que je suis prêt.
-Alors fais-le, dit Naaman en lui tendant un couteau.
Gabriel se saisit du couteau, et sans que le vétéran n’eut besoin de lui dire quoi que se fut, il s’entailla la paume droite au-dessus de l’autel de crâne avant de tendre la main devant le couple de statues, et de prononcer :
-Je fais sacrifice de mon sang, ô glorieux Empereur de l’Humanité, et je jure devant toi qu’une fois entré à ton service je ne reculerai pas si je devais le réitérer. Puisse mon sang couvrir le champ de bataille à mesure que j’accomplirais mon service et puisse-t-il se mélanger, chose infâme, avec celui de mon ennemi si je venais à faillir. O glorieux Empereur de l’Humanité, accepte le sacrifice que je t’offre.
-Bien. Suis-moi.
Gabriel suivit son guide sous une porte basse puis à travers un autre couloir, qui décrivit bientôt un coude à droite. Après quelques minutes de difficile progression, en raison de la faible hauteur du corridor, ils arrivèrent dans une seconde caverne, bien plus sombre que la première. Quelques torches brillaient d’un feu très pâle, illuminant mal les parois. Malgré tout, on pouvait distinguer des peintures représentant des formes abjectes, des humains à qui il avait poussé des membres tordus, informes, des protubérances hideuses, et qui arborait des visages grimaçants de douleur. La faible lueur les rendait plus atroces encore. Au centre de la caverne, un nouvel amoncellement de crânes se dressait au pied d’une autre statue de l’Empereur, d’une taille qui devait bien avoisiner les deux mètres cinquante. Elle dépassait Gabriel des épaules et de toute sa tête. Ses mais, tendues en avant, semblait le bénir de ses paumes tournées vers le sol.
Gabriel s’avança et inspecta les crânes. C’étaient des crânes humains, mais tous présentaient des déformations inexplicables, tantôt une bosse, tantôt un allongement de la boîte crânienne…
-Tu te trouves à présent dans la Caverne du Mutant. Le Mutant représente la dégénérescence de l’Humanité, l’anti-thèse parfaite de ce que l’Homme doit être. L’Empereur dans Sa sagesse a su montrer que la mutation est le Fléau de l’Humanité, car elle se répand, insidieuse, dans la multitude humaine, elle peut toucher n’importe qui, du plus humble citoyen impérial jusqu’au prêtre de l’Ecclésiarchie. Ceux qui en sont affectés ne méritent aucune pitié, car ils sont un chancre dans l’Humanité, un cancer qui le ronge de l’intérieur, et qui n’en aura aucune pour l’Imperium. La mutation est bien souvent un don du Chaos, mais pas toujours. Pourtant, le châtiment d’une telle corruption ne varie pas, il n’y a et il n’y aura jamais ni remord dans notre quête de la pureté, ni rémission pour leurs pêchés.
Naaman fit une courte pause, afin de laisser ses paroles pénétrer l’esprit de son novice.
-De tous les Chapitres de la Première Fondation, les Dark Angels possèdent le patrimoine génétique le plus pur. Jamais il n’a été question de mutations parmi nos Frères, et jamais il n’y en aura. Mais il faut se défier, car la mutation est pernicieuse, et peut infecter jusqu’aux Chapitres de l’Astartes. Des Loups de Fenris, jusqu’à la mystérieuse Fondation Perdue, en passant par la pâleur de la Raven Guard ou par le délire cybernétique des Iron Hands, tous démontrent une altération des gènes qu’ils reçurent du corps même de notre Père, et nous ne pouvons compter que sur nous-même.
Il laissa à nouveau un temps mort dans son discours, car il voulait que Gabriel saisisse bien l’importance d’une telle affirmation.
-Cette guerre ne peut se mener que par le fer et le feu. Nous devons trancher ce chancre immonde, l’inciser, puis le purifier par le feu pour être sûr qu’il ne pourra plus contaminer le genre humain. Mais l’acier pas plus que la flamme ne sont une arme utile sans le rempart que forme vertu et pureté. Car cette guerre dépasse le strict aspect matériel. Cette guerre est une guerre du corps contre la corruption, de la vertu et de la pureté de notre chair contre la dégénérescence hideuse de la mutation. Elle exige de nous un entretien constant, une surveillance de tous les instants, afin de former le plus sûr des boucliers, qui jamais ne cèdera face aux coups du Mutant. Te crois-tu assez pur et vertueux pour apporter leur châtiment à ces abominations ?
-Oui !
-Alors déshabille-toi, avance-toi sous les mains de l’Empereur et laisse-le juger de toi.
Gabriel ôta sa tunique, fit deux pas et vint se placer sous les paumes de la statue. Soudain, les yeux du colosse de pierre s’illuminèrent et deux jets d’une lumière iridescente en jaillir. Le fanal éblouissant vint se poser sur le novice, l’inspecta lentement de haut en bas, puis de bas en haut, s’accrochant à chaque parcelle de son corps, comme s’il cherchait à déceler la moindre chose qui n’eut pas sa place sur un Dark Angel. Au bout de quelques minutes d’examens, la lumière disparue et une voix d’outre-tombe, venue de l’intérieur de la statue, prononça d’une forte voix de basse :
-Je suis satisfait.
Gabriel chancela. L’examen malgré son apparente facilité l’avait laissé exsangue. Il dut mettre un genou au sol, et s’appuya sur ses deux mains afin de reprendre ses esprits. Après un court instant, ses sens se calmèrent et il reprit pleinement conscience du monde qui l’entourait. Cherchant de la main à tâtons sa tunique, il se releva et la repassa. Une fois rhabillé, il fixa Naaman, avec un regard qui exprimait qu’il était prêt à continuer. Celui de Naaman était aussi fermé et impassible que s’il avait été de marbre.
-Continuons, dit-il simplement.
Il ouvrit une mince trappe et entreprit de se glisser à l’intérieur. Il se laissa tomber, et disparu dans les ténèbres du puits. Sans hésiter, Gabriel l’y suivit. Il atterrit sur un sol rocailleux sans mal, mais chercha sans trouver le vétéran. Sentant un courant d’air frais lui parvenir à hauteur de genou, il s’approcha de la source et découvrit une ouverture dans le pan de roche qui lui faisait face. Compte tenu de l’exiguïté du lieu, c’était vraisemblablement par là que son guide était parti. A son tour, il s’allongea, et rampa le long du boyau. Le sol inégal le blessait et déchirait sa tunique en maints endroits, et ce ne fût qu’au prix d’une pénible reptation qu’il parvint enfin à une troisième salle.
La salle elle-même n’était guère élevée, pour ne pas dire basse de plafond. Elle se trouvait également être de faibles dimensions et de forme carrée. Sur le côté qui lui faisait face, devant une autre porte d’ébène portant elle aussi l’héradilque du Chapitre en ivoire poli, se tenait une forme encapuchonnée sous une large bure noire. On ne pouvait rien distinguer, à part qu’elle présentait une forme humaine. Sur les trois autres murs, crucifiés sur des poutres disposées en X, trois hommes ruisselant de sang pendaient à leurs clous, des rictus effroyables déformant leurs visages. Sur leurs crânes avait été tatoué la mention « Excommunicate : Extremis Diabolus » et un écriteau accroché à leurs cous portait l’inscription : « Hereticus Magnus ». Sur l’un d’eux, une scarification de l’abdomen figurait l’étoile à huit branches du Chaos. Au centre de la pièce, deux épées imitant en tous points celle des Dark Angels avait été fichées dans le sol.
Naaman sortit d’un recoin de la pièce, qui n’était éclairée que par un flambeau disposé derrière chaque croix, donnant à la salle un aspect infernal.
-Tu as fini par arriver dans la Crypte de l’Hérétique. Pour l’Imperium, il n’y a pas pire menace qui soit. Elle dépasse de loin celle conjuguée du Xenos et du Mutant. Car si le Xenos est une menace extérieure, si le Mutant nous dévore de l’intérieur, tous ont des caractéristiques qui les identifient, des traits qui les distinguent. Rien ne distingue l’Hérétique de l’Orthodoxe. L’Hérétique est la pire des tumeurs qui sclérosent l’Humanité. Son message pervers se diffuse à travers les masses et corrompt les esprits, et personne n’est à l’abri. Seule la foi la plus solide peut assurer un bouclier efficace face à cette menace. L’Hérétique profite de la moindre faille de l’armure du croyant pour s’y engouffrer et provoque ainsi la chute du plus fidèle et du plus pieux serviteur de l’Empereur. Défie-toi toujours de l’Hérétique, mais ne le craint pas, car la foi pure de l’Astartes est sa Némésis.
Comme à l’accoutumée, Naaman fit une pause.
-Cette guerre, à la différence des deux autres, a pour champ de bataille l’esprit. Seul l’esprit ferme, qui a su comprendre au plus juste et qui a fait sien les Saintes Doctrines de l’Empereur notre Père saura combattre sur ce terrain. Dans cette lutte à mort, il n’y a que la Foi qui est une arme efficace. L’hérétique bien souvent voudra te détourner par le syllogisme et le paradoxe de la Vérité du Dogme Impérial. Dans ces conditions, seule l’adhésion la plus pure et la plus profonde à la Foi, seule la compréhension exacte du Dogme sauront te sauver du piège que te tend l’Hérétique. L’Hérétique est légion et aussi longtemps que l’Homme sera, notre garde vigilante ne retombera jamais.
Une dernière pause.
-Mais le véritable combat contre l’Hérésie ne se joue pas entre deux Hommes, mais en chacun de nous. L’Hérétique existe parce qu’au plus profond de lui, il a été semé dans l’Homme les graines de l’Hérésie, et que ces graines ne demandent qu’à germer. De sorte que l’Hérésie peut faire chuter n’importe qui, jusqu’au Frère de l’Astartes. La puissance, l’orgueil, la curiosité, tous nos sentiments et nos sensations comportent leurs parts d’ombres. La limite entre bien et mal est ténue, et se passe bien souvent sans que l’on en ai conscience. C’est pourquoi la lutte est si acharnée. C’est un combat de tous les instants, que l’on ne peut mener que l’en se questionnant, qu’en cherchant des réponses, qu’en interrogeant les actes de l’Empereur et du Primarque, leurs déclarations et leurs volontés. Seule une parfaite connaissance de soi-même peut permettre d’avancer et de protéger l’Humanité de l’Hérésie. Il y a de cela dix millénaires, les gigantesques Legio Astartes partirent à l’assaut de la galaxie afin de libérer l’Humanité. Mais à force d’avancer, le doute, l’orgueil, la soif de puissance détournèrent la moitié des Légions de la Volonté de l’Empereur. Ils entreprirent d’exterminer leurs Frères et d’assassiner leur Père, sous la direction de son fils préféré, Horus. Après un combat apocalyptique, Horus eut l’orgueil dans sa folie de défier l’Empereur. Mais le Sauveur de l’Humanité l'abattit au prix du sacrifice de son corps, et se résolu à diriger l’Humanité par l’intermédiaire du Haut-Conseil. La part d’ombre qui nous hante tous avait pris le dessus sur celle de vertu de la moitié des Frères de Bataille, et a anéantit tout ce qu’ils représentaient, au point de renier le serment qu’ils avaient juré à leur Père. Te crois-tu capable de résister à cette part d’ombre ?
-Oui, je le crois.
-Alors prouve-le.
Naaman s’effaça, et aussitôt, l’être encapuchonné se saisit d’une des épées. D’un large mouvement, il fit décrire à la lame un arc de cercle qui eu tranché la tête de Gabriel si ce dernier ne s’était pas jeter à terre dans un roulé-boulé. D’un coup de pied, il détourna un second coup, puis il se jeta en avant et arracha la seconde arme du sol au passage. L’épée de son adversaire alla frapper le sol précisément à l’endroit où il s’était trouvé l’instant précédent. A présent qu’il possédait lui aussi une épée, le combat allait être bien plus rude pour l’ennemi, pensa-t-il. Il para un nouveau coup, passa sa lame sous celle de son adversaire et chercha à lui trancher les doigts, mais un mouvement de la garde dévia sa contre-attaque. L’autre chercha à enrouler son arme autour de celle de Gabriel afin de la lui faire sauter des mains, mais ce dernier suivit son mouvement et rompit le contact. Les duellistes s’écartèrent, seule leurs pointes restèrent au contact l’une de l’autre.
Gabriel observa son ennemi. Sous sa bure d’un noir de jais, il ne pouvait rien distinguer. Pas même ses mains… l’autre attaqua d’un revers. La lame fendit l’air et siffla quelques centimètres au-dessus de la tête de Gabriel qui avait plongé. Avant que l’autre ne portasse une nouvelle attaque, il se releva d’un bond tout en tournoyant magistralement, et la lame traça deux estafilades dans la bure qui recouvrait les bras. Il n’entendit même pas un cri de douleur. Il para une nouvelle fois, une autre, et encore une autre. Les lames s’entrechoquèrent, faisant jaillir des étincelles en tous sens. La passe fut longue mais stérile, chaque combattant stoppant les coups de l’autre avec brio.
Peu à peu, Gabriel se mit à ne plus faire qu’un avec son arme, à faire partie du combat comme s’il en ressentait les essences, saisissant chaque mouvement, chaque attaque, chaque parade, comme les fluides, les effluves d’un même mouvement. Il retrouvait les sensations que lui procuraient les duels à l’épée, et il sut que son adversaire était fini. Il anticipait toutes ses attaques, s’effaçant, parant, contre-attaquant au moment opportun, laissant l’adversaire s’essouffler en ne rencontrant que le vent dans ses offensives. Enfin, l’occasion de porter le coup décisif se présenta. Gabriel su quelle attaque allait porter l’ennemi avant même que ce dernier ne le sache, et comprit tout le parti qu’il pouvait en tirer. Il fit mine de parer le coup de taille de droite à gauche que voulut lui porter son opposant, mais passa avec la vitesse de l’éclair sous la garde de ce dernier, enroula l’épée en un battement de paupière et la fit sauter des mains de son ennemi. Surpris, ce dernier mit un temps à réagir que Gabriel exploita. Il le frappa d’un violent coup de pied dans la poitrine, et l’envoya rouler à terre. Il sauta sur lui, l’épée haute, avec l’intention d’en finir quand un cri éclata dans la salle.
-Stop !
Au commandement de Naaman, l’arme de Gabriel resta suspendue dans les airs, comme accrochée par un fil invisible.
-Cela suffit, Novice Gabriel.
Il lui fit signe de laisser se dégager son adversaire, qui se releva, inclina la tête devant lui et alla se ranger sur le côté, la tête toujours baissée. Naaman, lui, se planta devant la porte d’ébène.
-Tu as passé successivement les trois stades de ton Initiation, tu es devenu apte à devenir un véritable Frère de Bataille, un Initié. C’est aujourd’hui, Frère Gabriel, que tu intègres le Chapitre des Dark Angels. Bienvenu dans la Confrérie des Impardonnés, Frère.
Et d’un geste puissant, il écarta à la volée les deux battants de la porte. Un concert d’applaudissement et de félicitations éclata à l’instant même dans ce que Gabriel reconnu comme le Hall des Guerriers. Tous les Frères qui n’étaient pas en mission s’étaient rassemblés pour fêter son admission et acclamer le nouveau membre de leur phratrie.
Naaman se pencha vers lui afin que, malgré l’ouïe développée des Space Marines, Gabriel puisse comprendre ce qu’il avait à lui dire.
-Je suis fier de toi.
-MFT-
C’était Naaman, son instructeur, qui, sans un mot, était venu chercher le novice dans sa cellule et l’avait amené dans cette alcôve. Il l’avait laissé seul, l’invitant à se recueillir, à prier et à méditer sur lui-même, sur son Devoir et sur l’univers tout entier. Devant lui, sur l’autel, avait été posé le Liber Honorificorum, qu’il avait vu pour la première et unique fois lors de son arrivée au sein du Chapitre. Ce livre recensait tous les noms des Frères qui étaient tombés au combat, afin que par delà la mort, ils restent immortels et traversent les siècles. Gabriel avait appris que la mort n’était pas une fin en soit, car quiconque tombe peut servir encore l’Empereur par bien des façons. Que ce soit grâce aux glandes progénoïdes, sous la forme d’un gigantesque Dreadnought, ou bien sous celle de son nom, une fois inscrit sur ce registre sacré, un Astartes ne mourrait jamais vraiment. Il appartenait à ses Frères de se remémorer et de célébrer son nom pour qu’il traverse les siècles des siècles.
A jeun –il n’avait rien avalé depuis la veille-, il s’était laissé entraîné dans sa méditation, et la faim qui tenaillait son ventre, il ne la ressentait plus. Il savait que cela faisait des heures qu’il était ici, mais il n’avait aucune idée du compte exact. Un pas résonna sur le dallage de marbre de la chapelle. Ce fût à peine si Gabriel l’entendit, absorbé qu’il était dans ses pensées. Une main lui tomba sur l’épaule.
-A présent que ton temps de recueillement est achevé, Gabriel, suis-moi.
Gabriel se releva avec lenteur, puis se retourna et dévisagea Naaman d’un regard fatigué, mais dans lequel brillait encore une lueur de curiosité. Naaman sortit de l’alcôve, referma la double-grille sur les talons de Gabriel, puis le guida vers l’abside principale, dans laquelle pendaient les étendards sacrés. Il contourna l’autel, suivit de son novice, et ouvrit une petite porte que la taille de la table d'offrandes masquait au regard provenant du chœur.
-Avant de poursuivre plus avant, il te faut revêtir ceci.
Le vétéran tendit à Gabriel une tunique d’un blanc immaculé, qu’il avait amené avec lui. Le novice retira sa bure brune, se saisit de la tunique confectionnée dans du lin d’une finesse remarquable, et la passa.
-Entrons à présent, novice.
La porte était basse, mais elle donnait accès à un couloir plus bas encore. Gabriel et Naaman durent se plier en deux pour entrer. Ils parcoururent ainsi une distance assez grande, et le chemin semblait descendre coudes après coudes jusqu’au centre du Roc. Après une bonne vingtaine de minutes de descente, Gabriel et son guide se trouvèrent devant une haute porte d’ébène, qu’ornait dans un ivoire poli l’épée ailée des Dark Angels. Naaman se retourna vers lui.
-C’est à ce seuil que débute ton initiation, un chemin qui te mènera ou bien à la phratrie des Frères de Bataille, ou bien aux bras de la Mort. Je serais ton guide et ton initiateur, ne parle pas, ne questionne pas, mais comprend et apprend si tu veux vivre. Ton avenir sera entre tes mains sitôt que tu auras franchi cette porte. Il est temps, Novice Gabriel, que tu pénètres la Confrérie des Dark Angels.
Et d’un puissant geste, il écarta les battants.
Un nouveau couloir s’ouvrait devant eux. Ils l’empruntèrent et débouchèrent rapidement de l’obscurité totale dans laquelle ils se trouvaient à une salle éclairée par des flambeaux. Sur les parois, des peintures murales dépeignaient des adversaires que Gabriel avait pour la plupart déjà combattu. Les torches projetaient leurs clartés et leurs ombres sur les fresques et leur donnaient vie en s’accrochant à leurs reliefs au gré des ondulations des flammes. Au centre de la salle, deux statues en armes figuraient Lion El’Johnson et son Père luttant côte à côte. A leurs pieds, un autel avait été élevé avec les crânes de toutes sortes de Xenos abattus par les Dark Angels au cours de leurs campagnes.
-Te voici dans la Salle du Xenos. Si l’Univers n’a été créé que pour fournir à l’Humanité un espace à conquérir et sur lequel régner, il existe pourtant à l’intérieur de ce pré carré le Xenos. Le Xenos peut avoir diverses formes et nombre d’aspects. Il peut avoir de nombreuses ressemblances avec l’Humain comme il peut n’en avoir aucune, il peut être doté d’une conscience développée comme il peut être une simple bête dénuée de toute espèce d’âme. Mais le Xenos est le Xenos car il sera toujours différent de l’Homme, et qu’il s’opposera constamment quoi qu’il fasse à la volonté de l’Humanité, à Sa Volonté. Le Xenos est une menace constante pour l’Homme, et il n’y aura pas de répit jusqu’à ce que sa race ait été anéantie à jamais. De sorte qu’il faut abhorrer le Xenos tant que celui-ci est en vie, et n’accepter jamais aucune compromission avec ces ennemis de l’Humanité. L’Astartes fut créé par l’Empereur pour délivrer l’Homme de la tutelle du Xenos, nous ne renierons jamais sa volonté.
Naaman marqua un temps d’arrêt.
-Lorsque les Dark Angels furent créés, ils furent les Frères-Aînés, les Prétoriens, et les premiers ils entamèrent la lutte au côté de leur Géniteur contre l’Extraterrestre. Toujours zélés dans l’accomplissement de cette tâche, ils libérèrent des centaines de mondes de leurs jougs, et même si à présent l’Empereur n’est plus parmi nous, dix mille ans d’histoire, de guerre et combats n’ont pas réussi à rompre le serment de ne jamais composer avec le Xenos. Au cours de ces dix mille ans de luttes, la défense de l’Humanité ne faillit pas mais elle exigea des sacrifices toujours plus grands et un tribut toujours plus lourd. Le Liber Honorificorum compile le nom de chacun des Frères tombés au combat, le Librarium renferme dans ses Saints Ouvrages la liste des hauts-faits accomplis par chaque Dark Angel au cours de son service. La liste des actes de bravoures et des actions d’éclat de chacun des Astartes du Chapitre couvre des parchemins entiers, et longue encore sera la liste de ceux qui viendront s’y ajouter.
Il marqua un nouveau temps d’arrêt.
-Cette guerre est affaire d’armes, de lames, d’obus, de bolts, de chars et de navires, de sang. Tout au long de ton service, il te faudra souffrir, peiner, il te faudra te sacrifier pour que règne l’Empereur et que survive l’Humanité. Es-tu prêt à faire ce sacrifice ?
-Oui, je jure devant l’Empereur que je suis prêt.
-Alors fais-le, dit Naaman en lui tendant un couteau.
Gabriel se saisit du couteau, et sans que le vétéran n’eut besoin de lui dire quoi que se fut, il s’entailla la paume droite au-dessus de l’autel de crâne avant de tendre la main devant le couple de statues, et de prononcer :
-Je fais sacrifice de mon sang, ô glorieux Empereur de l’Humanité, et je jure devant toi qu’une fois entré à ton service je ne reculerai pas si je devais le réitérer. Puisse mon sang couvrir le champ de bataille à mesure que j’accomplirais mon service et puisse-t-il se mélanger, chose infâme, avec celui de mon ennemi si je venais à faillir. O glorieux Empereur de l’Humanité, accepte le sacrifice que je t’offre.
-Bien. Suis-moi.
Gabriel suivit son guide sous une porte basse puis à travers un autre couloir, qui décrivit bientôt un coude à droite. Après quelques minutes de difficile progression, en raison de la faible hauteur du corridor, ils arrivèrent dans une seconde caverne, bien plus sombre que la première. Quelques torches brillaient d’un feu très pâle, illuminant mal les parois. Malgré tout, on pouvait distinguer des peintures représentant des formes abjectes, des humains à qui il avait poussé des membres tordus, informes, des protubérances hideuses, et qui arborait des visages grimaçants de douleur. La faible lueur les rendait plus atroces encore. Au centre de la caverne, un nouvel amoncellement de crânes se dressait au pied d’une autre statue de l’Empereur, d’une taille qui devait bien avoisiner les deux mètres cinquante. Elle dépassait Gabriel des épaules et de toute sa tête. Ses mais, tendues en avant, semblait le bénir de ses paumes tournées vers le sol.
Gabriel s’avança et inspecta les crânes. C’étaient des crânes humains, mais tous présentaient des déformations inexplicables, tantôt une bosse, tantôt un allongement de la boîte crânienne…
-Tu te trouves à présent dans la Caverne du Mutant. Le Mutant représente la dégénérescence de l’Humanité, l’anti-thèse parfaite de ce que l’Homme doit être. L’Empereur dans Sa sagesse a su montrer que la mutation est le Fléau de l’Humanité, car elle se répand, insidieuse, dans la multitude humaine, elle peut toucher n’importe qui, du plus humble citoyen impérial jusqu’au prêtre de l’Ecclésiarchie. Ceux qui en sont affectés ne méritent aucune pitié, car ils sont un chancre dans l’Humanité, un cancer qui le ronge de l’intérieur, et qui n’en aura aucune pour l’Imperium. La mutation est bien souvent un don du Chaos, mais pas toujours. Pourtant, le châtiment d’une telle corruption ne varie pas, il n’y a et il n’y aura jamais ni remord dans notre quête de la pureté, ni rémission pour leurs pêchés.
Naaman fit une courte pause, afin de laisser ses paroles pénétrer l’esprit de son novice.
-De tous les Chapitres de la Première Fondation, les Dark Angels possèdent le patrimoine génétique le plus pur. Jamais il n’a été question de mutations parmi nos Frères, et jamais il n’y en aura. Mais il faut se défier, car la mutation est pernicieuse, et peut infecter jusqu’aux Chapitres de l’Astartes. Des Loups de Fenris, jusqu’à la mystérieuse Fondation Perdue, en passant par la pâleur de la Raven Guard ou par le délire cybernétique des Iron Hands, tous démontrent une altération des gènes qu’ils reçurent du corps même de notre Père, et nous ne pouvons compter que sur nous-même.
Il laissa à nouveau un temps mort dans son discours, car il voulait que Gabriel saisisse bien l’importance d’une telle affirmation.
-Cette guerre ne peut se mener que par le fer et le feu. Nous devons trancher ce chancre immonde, l’inciser, puis le purifier par le feu pour être sûr qu’il ne pourra plus contaminer le genre humain. Mais l’acier pas plus que la flamme ne sont une arme utile sans le rempart que forme vertu et pureté. Car cette guerre dépasse le strict aspect matériel. Cette guerre est une guerre du corps contre la corruption, de la vertu et de la pureté de notre chair contre la dégénérescence hideuse de la mutation. Elle exige de nous un entretien constant, une surveillance de tous les instants, afin de former le plus sûr des boucliers, qui jamais ne cèdera face aux coups du Mutant. Te crois-tu assez pur et vertueux pour apporter leur châtiment à ces abominations ?
-Oui !
-Alors déshabille-toi, avance-toi sous les mains de l’Empereur et laisse-le juger de toi.
Gabriel ôta sa tunique, fit deux pas et vint se placer sous les paumes de la statue. Soudain, les yeux du colosse de pierre s’illuminèrent et deux jets d’une lumière iridescente en jaillir. Le fanal éblouissant vint se poser sur le novice, l’inspecta lentement de haut en bas, puis de bas en haut, s’accrochant à chaque parcelle de son corps, comme s’il cherchait à déceler la moindre chose qui n’eut pas sa place sur un Dark Angel. Au bout de quelques minutes d’examens, la lumière disparue et une voix d’outre-tombe, venue de l’intérieur de la statue, prononça d’une forte voix de basse :
-Je suis satisfait.
Gabriel chancela. L’examen malgré son apparente facilité l’avait laissé exsangue. Il dut mettre un genou au sol, et s’appuya sur ses deux mains afin de reprendre ses esprits. Après un court instant, ses sens se calmèrent et il reprit pleinement conscience du monde qui l’entourait. Cherchant de la main à tâtons sa tunique, il se releva et la repassa. Une fois rhabillé, il fixa Naaman, avec un regard qui exprimait qu’il était prêt à continuer. Celui de Naaman était aussi fermé et impassible que s’il avait été de marbre.
-Continuons, dit-il simplement.
Il ouvrit une mince trappe et entreprit de se glisser à l’intérieur. Il se laissa tomber, et disparu dans les ténèbres du puits. Sans hésiter, Gabriel l’y suivit. Il atterrit sur un sol rocailleux sans mal, mais chercha sans trouver le vétéran. Sentant un courant d’air frais lui parvenir à hauteur de genou, il s’approcha de la source et découvrit une ouverture dans le pan de roche qui lui faisait face. Compte tenu de l’exiguïté du lieu, c’était vraisemblablement par là que son guide était parti. A son tour, il s’allongea, et rampa le long du boyau. Le sol inégal le blessait et déchirait sa tunique en maints endroits, et ce ne fût qu’au prix d’une pénible reptation qu’il parvint enfin à une troisième salle.
La salle elle-même n’était guère élevée, pour ne pas dire basse de plafond. Elle se trouvait également être de faibles dimensions et de forme carrée. Sur le côté qui lui faisait face, devant une autre porte d’ébène portant elle aussi l’héradilque du Chapitre en ivoire poli, se tenait une forme encapuchonnée sous une large bure noire. On ne pouvait rien distinguer, à part qu’elle présentait une forme humaine. Sur les trois autres murs, crucifiés sur des poutres disposées en X, trois hommes ruisselant de sang pendaient à leurs clous, des rictus effroyables déformant leurs visages. Sur leurs crânes avait été tatoué la mention « Excommunicate : Extremis Diabolus » et un écriteau accroché à leurs cous portait l’inscription : « Hereticus Magnus ». Sur l’un d’eux, une scarification de l’abdomen figurait l’étoile à huit branches du Chaos. Au centre de la pièce, deux épées imitant en tous points celle des Dark Angels avait été fichées dans le sol.
Naaman sortit d’un recoin de la pièce, qui n’était éclairée que par un flambeau disposé derrière chaque croix, donnant à la salle un aspect infernal.
-Tu as fini par arriver dans la Crypte de l’Hérétique. Pour l’Imperium, il n’y a pas pire menace qui soit. Elle dépasse de loin celle conjuguée du Xenos et du Mutant. Car si le Xenos est une menace extérieure, si le Mutant nous dévore de l’intérieur, tous ont des caractéristiques qui les identifient, des traits qui les distinguent. Rien ne distingue l’Hérétique de l’Orthodoxe. L’Hérétique est la pire des tumeurs qui sclérosent l’Humanité. Son message pervers se diffuse à travers les masses et corrompt les esprits, et personne n’est à l’abri. Seule la foi la plus solide peut assurer un bouclier efficace face à cette menace. L’Hérétique profite de la moindre faille de l’armure du croyant pour s’y engouffrer et provoque ainsi la chute du plus fidèle et du plus pieux serviteur de l’Empereur. Défie-toi toujours de l’Hérétique, mais ne le craint pas, car la foi pure de l’Astartes est sa Némésis.
Comme à l’accoutumée, Naaman fit une pause.
-Cette guerre, à la différence des deux autres, a pour champ de bataille l’esprit. Seul l’esprit ferme, qui a su comprendre au plus juste et qui a fait sien les Saintes Doctrines de l’Empereur notre Père saura combattre sur ce terrain. Dans cette lutte à mort, il n’y a que la Foi qui est une arme efficace. L’hérétique bien souvent voudra te détourner par le syllogisme et le paradoxe de la Vérité du Dogme Impérial. Dans ces conditions, seule l’adhésion la plus pure et la plus profonde à la Foi, seule la compréhension exacte du Dogme sauront te sauver du piège que te tend l’Hérétique. L’Hérétique est légion et aussi longtemps que l’Homme sera, notre garde vigilante ne retombera jamais.
Une dernière pause.
-Mais le véritable combat contre l’Hérésie ne se joue pas entre deux Hommes, mais en chacun de nous. L’Hérétique existe parce qu’au plus profond de lui, il a été semé dans l’Homme les graines de l’Hérésie, et que ces graines ne demandent qu’à germer. De sorte que l’Hérésie peut faire chuter n’importe qui, jusqu’au Frère de l’Astartes. La puissance, l’orgueil, la curiosité, tous nos sentiments et nos sensations comportent leurs parts d’ombres. La limite entre bien et mal est ténue, et se passe bien souvent sans que l’on en ai conscience. C’est pourquoi la lutte est si acharnée. C’est un combat de tous les instants, que l’on ne peut mener que l’en se questionnant, qu’en cherchant des réponses, qu’en interrogeant les actes de l’Empereur et du Primarque, leurs déclarations et leurs volontés. Seule une parfaite connaissance de soi-même peut permettre d’avancer et de protéger l’Humanité de l’Hérésie. Il y a de cela dix millénaires, les gigantesques Legio Astartes partirent à l’assaut de la galaxie afin de libérer l’Humanité. Mais à force d’avancer, le doute, l’orgueil, la soif de puissance détournèrent la moitié des Légions de la Volonté de l’Empereur. Ils entreprirent d’exterminer leurs Frères et d’assassiner leur Père, sous la direction de son fils préféré, Horus. Après un combat apocalyptique, Horus eut l’orgueil dans sa folie de défier l’Empereur. Mais le Sauveur de l’Humanité l'abattit au prix du sacrifice de son corps, et se résolu à diriger l’Humanité par l’intermédiaire du Haut-Conseil. La part d’ombre qui nous hante tous avait pris le dessus sur celle de vertu de la moitié des Frères de Bataille, et a anéantit tout ce qu’ils représentaient, au point de renier le serment qu’ils avaient juré à leur Père. Te crois-tu capable de résister à cette part d’ombre ?
-Oui, je le crois.
-Alors prouve-le.
Naaman s’effaça, et aussitôt, l’être encapuchonné se saisit d’une des épées. D’un large mouvement, il fit décrire à la lame un arc de cercle qui eu tranché la tête de Gabriel si ce dernier ne s’était pas jeter à terre dans un roulé-boulé. D’un coup de pied, il détourna un second coup, puis il se jeta en avant et arracha la seconde arme du sol au passage. L’épée de son adversaire alla frapper le sol précisément à l’endroit où il s’était trouvé l’instant précédent. A présent qu’il possédait lui aussi une épée, le combat allait être bien plus rude pour l’ennemi, pensa-t-il. Il para un nouveau coup, passa sa lame sous celle de son adversaire et chercha à lui trancher les doigts, mais un mouvement de la garde dévia sa contre-attaque. L’autre chercha à enrouler son arme autour de celle de Gabriel afin de la lui faire sauter des mains, mais ce dernier suivit son mouvement et rompit le contact. Les duellistes s’écartèrent, seule leurs pointes restèrent au contact l’une de l’autre.
Gabriel observa son ennemi. Sous sa bure d’un noir de jais, il ne pouvait rien distinguer. Pas même ses mains… l’autre attaqua d’un revers. La lame fendit l’air et siffla quelques centimètres au-dessus de la tête de Gabriel qui avait plongé. Avant que l’autre ne portasse une nouvelle attaque, il se releva d’un bond tout en tournoyant magistralement, et la lame traça deux estafilades dans la bure qui recouvrait les bras. Il n’entendit même pas un cri de douleur. Il para une nouvelle fois, une autre, et encore une autre. Les lames s’entrechoquèrent, faisant jaillir des étincelles en tous sens. La passe fut longue mais stérile, chaque combattant stoppant les coups de l’autre avec brio.
Peu à peu, Gabriel se mit à ne plus faire qu’un avec son arme, à faire partie du combat comme s’il en ressentait les essences, saisissant chaque mouvement, chaque attaque, chaque parade, comme les fluides, les effluves d’un même mouvement. Il retrouvait les sensations que lui procuraient les duels à l’épée, et il sut que son adversaire était fini. Il anticipait toutes ses attaques, s’effaçant, parant, contre-attaquant au moment opportun, laissant l’adversaire s’essouffler en ne rencontrant que le vent dans ses offensives. Enfin, l’occasion de porter le coup décisif se présenta. Gabriel su quelle attaque allait porter l’ennemi avant même que ce dernier ne le sache, et comprit tout le parti qu’il pouvait en tirer. Il fit mine de parer le coup de taille de droite à gauche que voulut lui porter son opposant, mais passa avec la vitesse de l’éclair sous la garde de ce dernier, enroula l’épée en un battement de paupière et la fit sauter des mains de son ennemi. Surpris, ce dernier mit un temps à réagir que Gabriel exploita. Il le frappa d’un violent coup de pied dans la poitrine, et l’envoya rouler à terre. Il sauta sur lui, l’épée haute, avec l’intention d’en finir quand un cri éclata dans la salle.
-Stop !
Au commandement de Naaman, l’arme de Gabriel resta suspendue dans les airs, comme accrochée par un fil invisible.
-Cela suffit, Novice Gabriel.
Il lui fit signe de laisser se dégager son adversaire, qui se releva, inclina la tête devant lui et alla se ranger sur le côté, la tête toujours baissée. Naaman, lui, se planta devant la porte d’ébène.
-Tu as passé successivement les trois stades de ton Initiation, tu es devenu apte à devenir un véritable Frère de Bataille, un Initié. C’est aujourd’hui, Frère Gabriel, que tu intègres le Chapitre des Dark Angels. Bienvenu dans la Confrérie des Impardonnés, Frère.
Et d’un geste puissant, il écarta à la volée les deux battants de la porte. Un concert d’applaudissement et de félicitations éclata à l’instant même dans ce que Gabriel reconnu comme le Hall des Guerriers. Tous les Frères qui n’étaient pas en mission s’étaient rassemblés pour fêter son admission et acclamer le nouveau membre de leur phratrie.
Naaman se pencha vers lui afin que, malgré l’ouïe développée des Space Marines, Gabriel puisse comprendre ce qu’il avait à lui dire.
-Je suis fier de toi.
-MFT-