« Non.
-Pardon ?!
-Non, je ne ferai pas l’idiote avec votre équipement. Il va falloir que je nettoie ma fille et sans vouloir vous manquer de respect, je ne suis pas votre boniche. »
Le marine resta un instant abasourdi. Il avait affronté des fanatiques chaotiques et des xénos répugnants durant des siècles mais qu’une simple mortelle se permette une telle impudence !
«Comment osez-vous, femme ?! Je suis un Astartes par l’Empereur ! Les gens tels que vous, nous doivent respect et obéissance, par sa volonté ! »
Martinien les dominait de toute sa hauteur et grondait tel l’orage. Lucie ne se laissa pas démonter.
« Et vous non ?
-Comment ?
-Et vous, non ? Nous sommes trop insignifiants à vos divins yeux pour mériter un peu de respect ? Je vous signale à tout hasard, que je vous ai remercié. Je vous ai soigné vous et votre ami. Je n’ai rien réclamé en échange, il n’y avait pas lieu de le faire mais vous m’avez superbement méprisé. Vous exigez une servitude et une soumission sans condition ! »
A présent, la menace était visible dans son regard. Il s’approcha.
« N’éprouvez-pas ma patience plus avant. J’ai droit de vie et de mort sur vos semblables.
-Charmant… Vous vous occuperez de ma fille ou vous l’exécuterez aussi ? Une grande victoire pour un grand bonhomme. »
La jeune femme tremblait et avait les larmes aux yeux mais elle ne cilla point. Martinien se trouva pour la première fois de sa vie devant un adversaire terrible. Il aurait pu lui briser l’échine d’un geste mais il était malmené par l’aspect irréel de la situation. Cela dépassait les limites de sa conception du monde. Que l’on puisse à ce point être illogique. Un hérétique avait l’esprit corrompu par le chaos, un politicien par le pouvoir et pour un xénos la question ne se posait même pas mais une simple citoyenne impériale…
« Je ne vous comprends pas. » Parvint-il à dire.
Il se détourna et alla vers Mariel s’assurer de son état.
Il regarda le petit orifice dans la paroi qui menait à une gaine d’aération. Il n’y avait pas d’issu possible par là mais si on plaçait l’émetteur assez loin, il y avait une chance de pouvoir contacter l’extérieur. Lui était bien trop grand pour espérer passer dans le conduit. Il avait besoin d’elle.
****
« Je vous respecte, vous savez. »
Martinien ne bougea pas.
« Mais ça n’a rien à voir avec le fait que vous soyez Astartes. Du moins, pas directement.
-Ah ! Pour quelle raison donc ?
-Vous ne devinez pas ?
-Deviner quoi ?
-Ce qui fait la valeur d’un individu. »
Cette fois le marine tourna la tête. Il avait un air d’incompréhension.
« Mais enfin de quoi parlez-vous ?!
-Vous nous méprisez, n’est-ce-pas ? Vous ne nous attribuez pas ou peu de valeur en tant qu’individu. Nous sommes trop insignifiants à vos yeux pour mériter de la considération. Vous vous sentez supérieur à moi. Savez-vous pourquoi ?
-Je suis un Astartes, un élu du Lion et de l’Empereur. Vous, vous n’êtes qu’une femme.
-Vous ne respectez donc que les titres ou vos semblables ? »
Martinien faillit répondre puis réfléchit un instant. Il était vrai que si en général il attribuait de l’importance au statut, il y avait bien des officiers humains ou même d’autres chapitres dont il n’avait pas une très haute opinion. Voyant son hésitation, Lucie enchaina :
« Apparemment, ce n’est pas aussi simple. Du coup, qu’est-ce-qui peut faire la valeur d’un individu ? Son potentiel, peut-être ? »
Le vétéran la regarda semblant acquiescer.
« Je suis un guerrier et ma vie se limite à considérer l’utilité de ce qui m’entoure pour mener à bien ma tâche.
-Non, je ne pense pas que vous ne soyez qu’un guerrier. Vous êtes un élu de l’Empereur. Cela implique plus de responsabilités que d’être une simple machine à tuer.
-...Que devrai-je faire d’autre ?
-Vous êtes les seuls véritables représentants de l’Empereur. Bien plus que n’importe quel membre de l’Adeptus Terra. Vous êtes ses fils et son œuvre. »
Cette fois-ci, Martinien se tourna complètement. Quelques secondes passèrent puis il se leva et alla s’assoir à coté d’elle.
« Qui êtes-vous vraiment ?
-Ah ! Je vois que j’ai votre attention maintenant, peut-être même un peu de considération. Pouvez-vous me dire ce qui a changé ? »
Martinien luttait intérieurement. Il était très irritant pour lui de devoir « subir » une telle joute verbale. Il comprenait vraiment maintenant à quel point il avait ignoré ceux qu’il devait protéger. Pour la première fois dans sa très longue vie, le Dark-Angel se demanda pourquoi l’Empereur avait créé ses semblables pour protéger l’humanité. Il n’avait jamais remis en cause sa tâche mais il ne l’avait jamais vraiment analysée non-plus. Le chapelain Astérios l’avait souvent interpelé sur le sujet mais en lui-même le vétéran avait fait la sourde-oreille. Les batailles n’attendaient pas.
Il réfléchit.
« Très bien, voyons où cela nous mène. Si la valeur d’un individu est son potentiel (ou ses aptitudes) alors sa valeur est comme celle d’un outil mais vous venez de me rappeler que je suis plus qu’un outil car de par ma volonté je suis aussi le prolongement de celle de l’Empereur. Hors donc, si ce n’est ni les titres, ni le potentiel. Qu’est-ce ? »
Il fit une courte pause.
« Ce qui a changé depuis tout à l’heure c’est que vous m’avez … « touché » par vos paroles. Votre valeur a changé pour moi par ce que vous avez fait pour moi…
Nos actes. Ce sont nos actes qui nous valorisent. »
Lucie sourit.
« C’est un début mais j’y ajouterait une subtilité. J’vais vous poser une question :
Entre un ouvrier qui fait face à un sorcier impie et un marine, qui a le plus de valeur ? »
Martinien fronça les sourcils. Le voilà qui était à nouveau malmené. Elle mettait au même niveau un Astartes et un humain.
« Si je suis la même logique que précédemment, je dirai… qu’ils ont la même valeur au yeux de l’Empereur.
-Vous êtes sûr ?
-N’abusez-pas femme ! Vous ne supposez pas qu’un être humain normal pourrait avoir plus de valeur que nous !?
-Alors qu’est-ce-qui fait qu’un acte a de la valeur ou non ? »
Et c’était reparti. Elle ne lui laissait pas une minute de répit mais le vétéran se prit à apprécier ce duel d’un genre nouveau. Replongeant dans ses pensées, il se dit d’abord que c’était l’aboutissement de l’acte en lui-même qui prévalait mais, en ce cas, quid du courage et de la vaillance ? Dans ce qu’il venait d’énoncer, dans la mesure où on arrivait à ses fins, peu importait qu’on l’ait fait héroïquement ou non. Il commença à entrevoir autre chose. Il était naturel pour un Astartes de faire face à l’impie, c’était sa vocation et sa tâche sacrée. Ca ne le dispensait pas de courage mais ça lui était naturel. L’individu qui n’était pas un guerrier par contre devait faire montre de courage mais c’était idiot ! Pourquoi s’interposerait-il face à une mort certaine ? Alors il eut une vision soudaine de sa vie avant son arrivé au Roc. Il se souvint de choses depuis longtemps enfouies par son conditionnement et sa vie de guerrier. Il lui revint l’attitude fière de sa famille et de son clan lorsqu’il fut choisit par le chapelain recruteur. Il avait eu de la valeur pour eux et par eux. Il s’était substitué à son frère ainé pour le protéger de la disgrâce car il était infirme.
L’ouvrier avait de la valeur car il faisait face pour les siens.
« La valeur d’un individu est la valeur de ses choix et de ses actes. »
Lucie regardait sa fille dormir enfin. Martinien ne dit plus mot et regardait la pénombre. Son regard s’arrêta sur le petit autel dédié au sauveur de l’humanité. Les reflets de la bougie dansaient sur la représentation de l’Empereur. Il lui semblait invraisemblable d’avoir compris ce qu’il venait de comprendre seulement maintenant. Comment pouvait-on vivre si longtemps dans une telle absurdité ? Il n’était pourtant pas idiot.
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Linual